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RECAPITOULEÏCHEUN – accès par lien aux articles des « Echos d’une vie de prof » (40)

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Le travail accompli© Bleufushia

Comme je suis une quiche en informatique, je ne parviens pas à établir un menu déroulant. Du coup, si vous vous intéressez à mes « échos d’une vie de prof » (chronique qui a commencé en octobre 2014, et qui court sur deux années universitaires), il vous faudra une patience infinie pour arriver au premier.
Je vais résoudre la chose en feintant l’informatique. Voici une liste des articles publiés jusqu’ici (premier juin 2016).

En noir, ambiances de classes et portraits d’étudiants, regard d’une vieille schnock sur la jeunesse

En rouge, quelques considérations sur le système et l’enseignement

En rose, les états d’âme de Lili Ze prof (en rapport au système ci-dessus, essentiellement)

Bon, à la relecture, il est bien évident que tout cela s’entrecroise : une ambiance de classe décrite par moi, ça parle forcément du prof aussi… les étudiants ont un rapport avec le système, et les états d’âme de Lili aussi… mais on va faire simple, d’ac ?

En fait, si je me la joue genre bilan, je remarque que j’ai commencé à regarder autour de moi dans la classe, puis que j’ai commencé à être vraiment perturbée par l’environnement au-delà de ces murs-là, et que je finis sur des articles plus généraux sur le système et finalement, sur ses répercussions sur mon moral pourtant, antérieurement, d’acier.
En réalité, j’ai travaillé toute l’année 2014-2015. J’ai commencé cette chronique parce que, alors que depuis des années, je ressentais un certain malaise dans l’institution, ce malaise s’est aggravé soudain (avec la fusion des universités et le tout libéral triomphant), et j’ai éprouvé le besoin d’introduire la distance que les mots permettent, pour parvenir à supporter un peu mieux l’ensemble.
Lorsque j’ai commencé l’année universitaire 2015/2016 (la dernière pour moi), l’institution s’est mise à déraper plein pot et j’ai totalement craqué au bout d’un mois, pour cause de « conflit éthique » (a diagnostiqué la psychologue du travail que j’ai consultée). Travailler dans un lieu maintenant privé de sens et de valeurs dans lesquelles il me soit possible de me reconnaître m’est devenu insupportable. Du coup, bien qu’ayant été en contact régulier avec mes étudiants, et observant les choses d’un lieu qui n’est pas encore loin, mais plus totalement proche, je n’ai plus pu les chroniquer au quotidien. Et mes réflexions ont pris un tour plus auto-centré.

  1. Le prénom de Brahms https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/03/le-prenom-de-brahms/
  2. Tutu https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/04/tutu/
  3. Proche de la syncope https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/04/340/
  4. Instruments tous unis https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/04/instruments-tous-unis/
  5. Ma vie sur Mars https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/09/ma-vie-sur-mars/
  6. La vie des bêtes  https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/10/la-vie-des-betes/
  7. Fahrenheit 451 https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/15/fahrenheit-451-7/
  8. Délivrez-nous de la tentation https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/15/delivrez-nous-de-la-tentation-8/
  9. La liberté est à 150 mètres https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/20/la-liberte-est-a-150-metres/
  10. Les feux de l’amour https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/24/les-feux-de-lamour-10/
  11. Pon pon pon pon https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/26/pon-pon-pon-pon-11/

11bis. Du bon usage des verbes pronominaux https://bleufushia.wordpress.com/2014/11/08/du-bon-usage-des-verbes-pronominaux/

  1. Ho rotto la mia dentiera https://bleufushia.wordpress.com/2014/11/09/ho-rotto-la-mia-dentiera-12/
  2. On the road again again https://bleufushia.wordpress.com/2014/11/15/on-the-road-again-again-13/
  3. Ce Jésus, il me cloue https://bleufushia.wordpress.com/2014/11/23/ce-jesus-il-me-cloue-14/
  4. Statistiques molles https://bleufushia.wordpress.com/2014/12/06/statistiques-molles-15/
  5. Poussez mémé dans les orties https://bleufushia.wordpress.com/2014/12/13/faites-donc-glisser-meme-dans-les-orties-16/
  6. Les pires conditions matérielles sont excellentes https://bleufushia.wordpress.com/2014/12/14/les-pires-conditions-materielles-sont-excellentes-17/
  7. L’ombre d’un doute https://bleufushia.wordpress.com/2014/12/22/lombre-dun-doute-18/
  8. Petite fricassée de notes https://bleufushia.wordpress.com/2015/01/19/petite-fricassee-de-notes-19/
  9. Songe d’une nuit d’hiver https://bleufushia.wordpress.com/2015/01/23/songe-dune-nuit-dhiver-20/
  10. Décalage : le récit désabusé d’Ana Cro https://bleufushia.wordpress.com/2015/02/09/decalage-le-recit-desabuse-dana-cro-21/
  11. Faille spatio-temporelle https://bleufushia.wordpress.com/2015/02/15/faille-spatio-temporelle-22/
  12. Chuis swag, foutrement swag https://bleufushia.wordpress.com/2015/02/23/chuis-swag-foutrement-swag-23/
  13. Les MOOCs, c’est le FUN, mais c’est pas la joie https://bleufushia.wordpress.com/2015/03/03/les-moocs-cest-le-fun-mais-cest-pas-la-joie-24/
  14. De l’art d’accommoder les restes https://bleufushia.wordpress.com/2015/03/17/de-lart-daccommoder-les-restes-25/
  15. La vie des charançons n’est pas si monotone (un peu en dehors, où il est question de twitter) https://bleufushia.wordpress.com/2015/03/30/la-vie-des-charancons-nest-pas-si-monotone-26/
  16. Tutti frutto, tutto frutti https://bleufushia.wordpress.com/2015/05/09/tutti-frutto-tutto-frutti-27/
  17. Ping pong à Pyongyang https://bleufushia.wordpress.com/2015/06/14/ping-pong-a-pyongyang-28/
  1. E la nave va https://bleufushia.wordpress.com/2015/06/27/e-la-nave-va-29/
  2. Petit braquet https://bleufushia.wordpress.com/2015/06/27/e-la-nave-va-29/
  3. Kafka pas mort https://bleufushia.wordpress.com/2015/09/07/kafka-pas-mort-31/
  4. Nouvelles du front https://bleufushia.wordpress.com/2015/10/05/nouvelles-du-front-32/
  5. Mosart, Betoven et pas moi et moi et moi https://bleufushia.wordpress.com/2015/10/08/mosart-betoven-et-pas-moi-et-moi-et-moi-33/
  6. What a wonderful day https://bleufushia.wordpress.com/2015/10/21/what-a-wonderful-day-34/
  7. La théorie des climats (un peu en dehors : l’exposé de ladite théorie comme un élément de lecture de la violence) https://bleufushia.wordpress.com/2015/12/07/la-theorie-des-climats-35-2/
  8. Sérénitude absolue https://bleufushia.wordpress.com/2015/12/27/serenitude-absolue-36/
  9. Moi, j’m’en balance https://bleufushia.wordpress.com/2015/12/31/moi-jmen-balance-37/
  10. YOLO https://bleufushia.wordpress.com/2016/01/13/yolo-38/
  11. Elasto-ta-mère https://bleufushia.wordpress.com/2016/01/16/elasto-ta-mere/


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Nous sommes tous des hamsters en cage

Je m'appelle Edward et je suis un hamster.

Je m’appelle Edward et je suis un hamster.

Certaines rencontres sont comme le miroir où l’on se mire, aux petites heures pâles du jour, quand, en se brossant les dents, on se demande furtivement si « c’est utile, et puis surtout, si ça vaut l’coup, si ça vaut l’coup d’vivre sa vi-i-e » (∗).

Telle est la couleur de ma rencontre avec Edward, ou plutôt avec son journal intime, rédigé le temps de sa courte vie.
Sous les dehors anodins d’un petit carnet en noir et blanc, avec plus de noir que de blanc, il s’agit d’une pépite.

Rare, comme les vraies pépites.
Que je vous dise deux mots sur Edward : Edward est un hamster.
Et je suis tombée amoureuse de lui. Ne riez pas, il est formidable

D’autres sont musiciens, cuisiniers, plongeurs, lui est philosophe, un de ceux qui « rêvent de tracer son propre chemin ».

Jour après jour, il tente de déchiffrer le sens de sa vie et des forces hostiles qui la gouvernent, du système qui broie les individus oublieux de s’unir. Il écrit, il pense, il fantasme sur la possibilité d’avoir de « vrais échanges intellectuels » avec autrui, « d’exister – au moins »…

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Et c’est de vous et de moi qu’il parle, avec ses mots simples et profonds.
Rien de plus, rien de moins.
Et le regard que je jette à mon reflet dans le miroir a imperceptiblement changé.
Et les questions qui l’accompagnent  s’inscrivent en moi avec une encre plus indélébile que d’ordinaire.

« A quoi bon écrire ? La vie est une cage de mots vide. »

Si, de façon impromptue – comme moi, hier, quand je l’ai découvert, abandonné sur une table, dans un coin à l’écart dans ma médiathèque préférée –  vous croisez  « le journal d’Edward, hamster nihiliste ≈1990-1990 ≈ » (Miriam et Ezra Elia, chez Flammarion), n’hésitez pas une seconde, et allez à sa rencontre : ce sacré Edward est susceptible de vous impacter gravement.
Et n’en croyez rien, il n’est pas nihiliste : c’est juste une étiquette que lui a collée la traductrice (ou  l’éditeur, je ne sais !). En même temps, elle a directement traduit cet ouvrage du hamster, ça ne doit pas être très facile !

(∗) et, de surcroît, à cause de cette phrase qui me trotte dans le crâne, envie de réécouter la merveilleuse chanson de J.R. Caussimon pour Ferré : Comme à Ostende (j’ai cette particularité, que je dois partager avec beaucoup de mes semblables, d’associer des musiques à un peu tout ce qui me passe par la tête)

©Bleufushia


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La vie des bêtes (6)

sur une table du dernier rang - "ouai", ça ne se met pas au pluriel ?   ©Bleufushia

sur une table du dernier rang – « ouai », ça ne se met pas au pluriel ?
©Bleufushia

Je rencontre Julien dans la rue : ça fait longtemps, six ans déjà.

– Vous me reconnaissez ? Julien, la basse !

– Bien sûr ! Qu’est-ce que tu deviens ?
– Après mon master, je n’ai pas trouvé de boulot, personne ne voulait m’embaucher avec un niveau bac + 5, ça coûte trop cher, qu’ils disent. Intermittent, c’est difficile, j’étais musicien de bal, mais les DJ coûtent tellement moins cher qu’un petit ensemble en live… Quand on trouve une date avec les potes, vous savez, Romain et Pat, on nous embauche généralement au black, ou alors, il faut qu’on paye nous-mêmes nos charges. On continue à jouer, mais juste pour le plaisir de se retrouver de temps à autre. On a l’impression d’être encore jeunes.
– Et à part jouer ?
– Ben après deux ans de galère, j’ai fini par trouver un CDD dans un rayon poissons au supermarché. Ça va, c’est mieux que la viande. Pour le moment, on me l’a déjà renouvelé deux fois. J’ai plus de bol que Romain, qui avait trouvé une place par une boîte d’intérim comme factotum dans une petite entreprise. Le patron était content de lui, il a proposé de lui faire un contrat, à la condition qu’il lui signe un papier pour certifier qu’il n’avait pas d’autres diplômes que le bac. Vous connaissez Romain, il a refusé… depuis, il bricole.
Pat s’est mis en ménage avec une infirmière, et il est au chômage. Il compose et attend la célébrité : vous vous rappelez comme il était rêveur.

Il se met à rire :

– vous vous rappelez, on était la promo « écureuil ».

La promo « écureuil » : bien sûr que je m’en souviens !
Ils étaient en troisième année. Je leur avais donné un travail de groupe, en inscrivant trois questions au tableau, sur lesquelles ils devaient discuter.

Une de ces questions était : « quels écueils pouvez-vous rencontrer au cours d’une observation de situation scolaire ? »
Ils s’étaient mis au travail, certains se levaient, allaient d’un groupe à l’autre.
Au bout d’un moment, Gaëlle avait pris la parole.

– M’dame, on sait que vous aimez bien blaguer, mais personne d’entre nous ne voit le rapport possible entre des écureuils et l’observation.

Je leur avais demandé de lire mieux, il avaient alors déchiffré « écueil », mot qu’aucun dans la classe ne connaissait.
J’avais alors répondu en leur donnant la définition « d’écureuil », synonyme d’obstacle… avec des exemples.
Le mot était devenu une private joke de la promo, et ils le mettaient à toutes les sauces. Au bout d’un moment, ils incluaient dans des phrases « problématiques » n’importe quel animal en lieu et place d’écureuil.
Julien conclut notre évocation commune de tous les rires associés à cette histoire :
– Vous n’y êtes pour rien, mais ça nous a suivis, moi, je suis dans le poisson, et les autres vivent comme des bêtes : on ne pense qu’à pouvoir manger.
©Bleufushia


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Ma vie sur Mars (5)

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2 h 30 ? 9 h 30 ? en tout cas, quelle est longue, la journée ! (photographié dans ma salle, sur la table du deuxième rang) ©Bleufushia

Hier, j’ai l’idée un peu saugrenue de présenter aux têtes brunes et blondes auxquelles je professe une chanson de Boris Vian, « La java martienne ».
Ces têtes brunes et blondes-là, filles et garçons à géométrie capillaire et looks variés, sont inscrites dans une filière qui doit les amener, d’ici deux ans, à enseigner en collège. Ils sont bons, sérieux, intelligents, fort agréables, assez enthousiastes en général, et relativement loufoques pour certains. Chose qui me réjouit, qu’ils ne soient pas « au carré ».
Le propos du cours du jour est de la chanter en la jouant, et elle contient quelques difficultés qui correspondent pile poil à leur niveau.
Je l’ai toujours trouvée assez marrante, cette chanson. Je sais, elle date un peu – l’âge de leurs grands-parents, en gros – mais elle a un côté BD absurde qui peut les amuser.

Je leur passe un polycop et certains commencent à lire les paroles.
Je sens un problème passer dans l’air silencieux. Justement parce qu’il est silencieux, ce qui est incongru dans cette génération-là.
J’interroge : « quelque chose ne va pas ? ».
Silence encore… que se hasarde à troubler un des meilleurs, V.
– M’dame, on comprend rien à ce texte.
(Ouche, même pas « je », non, direct, « on »)
Un autre en rajoute une couche
– L’auteur doit être un peu pervers, c’est assez dégueulasse, les ventouses, les orgies !
Je me hasarde à leur faire remarquer qu’il s’agit d’une chanson de Boris Vian, que c’est assez dans sa veine habituelle, que la chanson est du genre vaste blague.
Et là, regard totalement vide des foules pas en délire du tout.
A. dit, en prenant le ton et la syntaxe « banlieues » (juste avant, on a parlé de la rediffusion à la télé d’Entre les Murs)
– on sait même pas c’est qui !
Je questionne avec prudence – parce que la réponse que je pressens me laisse sans voix, d’avance : vous n’avez jamais lu ni entendu de Boris Vian ?
Le regard collectif s’opacifie.
Je tente un va-tout : Le déserteur ? (je joue le début, avec les paroles)… rien… L’écume des jours ?… rien…J’irai cracher sur vos tombes, de son pseudo ?… rien… St Germain des Prés, la trompinette ? Arthur ? (y en a un qui s’appelle Arthur, je me dis que ça peut le faire, tentative idiote et désespérée… il me répond, gentil : oui, quoi, m’dame ?).
Le blanc complet.
En moi, un abîme noir.

Je me dis soudain qu’il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark si des gens qui sont passés par le système scolaire, avec succès, jusqu’à fréquenter pendant trois ans une université de Lettres, et particulièrement une section musique, peuvent ne jamais avoir croisé l’oeuvre ni le nom de Boris Vian.
Je brosse un portrait rapide de l’homme, de l’auteur, du musicien, de son univers, mais c’est, étrangement, hors de leur champ. Ils ne connaissent pas, c’est vieux, à dégager voie 12 ! C’est peut-être parce que leur méconnaissance est unanime que ça ne vaut pas le coup de l’intégrer dans leur univers ?
Pourtant, ils sont curieux, vivants. Là, imperceptiblement braqués.
Je me demande si j’évoque la Pataphysique, je renonce.
Malgré tout, je leur conseille d’en lire, évoque mon plaisir à la relecture récente de L’automne à Pékin, cette histoire étrange et prenante. Mais je sais, pour avoir déjà parlé de ça avec eux, que rarissimes sont ceux qui lisent.
Ils m’écoutent, attentifs, gentils. Dans leur regard, je lis qu’ils m’aiment bien, mais que je suis un peu bizarre. Légèrement périmée, comme m’avait dit un de mes fils, le jour d’un anniversaire.

Je reviens à la chanson, en soulignant le nom de la martienne : Porfichtoumikdabicroûté (c’est drôle, non ?)
V. reprend la parole, et dans son ton de voix, j’entends une bonne volonté évidente : il est de ceux qui ont à coeur de rétablir la communication quand elle est un peu défaillante. Il fera un bon prof, c’est certain.
– M’dame, c’est son vrai nom, à la martienne ?
Je le regarde, il n’est pas du tout en train de plaisanter.

En moi, quelque chose se fendille : dans l’interstice créé s’installe la sensation intense de vivre sur une autre planète. La martienne, c’est moi, et je ne sais même plus comment je m’appelle.
J’ai un blanc, encore (blanc et noir, ça doit être parce que je fixe les touches de mon piano !), pendant lequel C. fait une allusion, en riant, à un personnage dont je n’ai jamais entendu parler. Les autres se marrent, ils connaissent, l’atmosphère s’allège.
Un partout, la balle au centre !
Une vitre invisible, mais bien réelle, nous sépare.
On ne vit pas dans le même univers, même si des tas de liens, d’histoires, de rires et d’intérêts partagés, d’émotions communes, de goûts, même, convergents, de complicités tissées au cours des deux années passées nous unissent malgré tout, assez paradoxalement. Même si chaleur et sympathie circulent dans les deux sens.
Avant, je pensais qu’ils n’étaient pas initiés au monde. Avec une conception assez nombriliste, élitiste et vingtiémiste, sans doute, du « monde ».

Peu à peu, ma perception s’inverse et me vient l’idée que c’est moi qui ne suis plus ni de leur monde, ni de leur siècle.

©Bleufushia
Pour ceux d’entre vous qui ne l’auraient pas en mémoire, en voilà une version assez savoureuse des Trois Horaces (et les paroles de la chanson).


La java martienne (Boris Vian)

En descendant de la fusée
Je t’ai trouvée presque aussitôt
Et je suis resté médusé
Tu m’avais pris comme au lasso
Je t’ai suivie sur la pelouse
Tes tentacules autour du cou
Et avec tes petites ventouses
Tu m’as fait des baisers partout
Les musiciens soufflaient sans trêve
Dans leurs bazouks et leurs strapons
Et cette musique de rêve
Me perforait jusqu’au trognon
J’évoquais des orgies superbes
Des bacchanales dans les canaux
Et pendant qu’on s’aimait sur l’herbe
Je fredonnais ces quelques mots

C’est la java martienne
La java des amoureux
En fermant mes persiennes
Je revois tes trois grands yeux
Ça marse toujours, ça marse comme ça
Oui saturne à tour de bras
La java d’amour, martiale java
Que j’ai dansée dans tes bras
C’est la java martienne
La java des amoureux
Toutes tes mains dans les miennes
Je revois tes trois grands yeux

On s’est aimés comm’ dans un rêve
Mais hélas j’ai dû repartir
Et nos amours ont été brèves
Chérie je voudrais revenir
Ton nom me hantera sans cesse
Pendant les longues nuits d’été
Ton nom doux comme une caresse
Porfichtoumikdabicroûté
Un jour je monterai peut-être
Chercher le fruit de nos amours
Cet enfant bâti comme un hêtre
Qui naquit au bout de huit jours
En voyant son père amarsir
Le chéri l’aimera beaucoup
Et prendra pour courir lui dire
Ses treize jambes à ses deux cous

C’est la java martienne
La java des amoureux
En fermant mes persiennes
Je revois tes trois grands yeux
Ça marse toujours, ça marse comme ça
Oui saturne à tour de bras
La java d’amour, martiale java
Que j’ai dansée dans tes bras
C’est la java martienne
La java des amoureux
Toutes tes mains dans les miennes
Je revois tes trois grands yeux

Pour retrouver mon rêve
Ma martienne aux trois yeux bleus
Allons-y, mars ou crève
Je remonterai-z-aux cieux

Pour un peu plus de Vian : https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/09/je-voudrais-pas-crever-boris-vian/


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Instruments tous unis ! (4)

Petit coup de blues

Petit coup de blues

Je revois les jeunes recrues.

J’ai en charge de leur faire comprendre que la musique est un langage qui utilise des règles, qui a une grammaire, et que savoir ce qu’on dit quand on cause peut avoir, parfois, une certaine utilité, et simplifier l’existence du musicien. Basique. Pas si facile.

Leur regard sceptique et légèrement flottant me fait sentir que je dois avancer avec prudence : la salle est pleine de débutants – je n’ai gardé qu’eux pour un début de parcours – dont beaucoup grattent ou plaquent trois accords, par imitation de leur groupe préféré, avec plus ou moins de dextérité au demeurant. Je les entends jouer, à la pause, pour montrer aux autres, dans le patio où ils égrènent les heures entre les cours. Pas mal, souvent. Se sont-ils jamais demandés ce qu’ils sont exactement en train de jouer ?

M’dame, la musique, c’est quand même du feeling, avant tout, non ?

Je suis d’accord. Y en a, des exemples, de musiciens qui…

Ah oui, Django !

Les explications que je leur fournis, avec force exemples et exercices d’application : les gammes, leur parenté, la façon séculaire dont on les utilise pour élaborer des phases, qui utilisent les éléments musicaux dans des combinaisons facilement identifiables et en petit nombre – laissent beaucoup perplexes, ça saute aux yeux.

J’ai pourtant des heures de vol, il y a un certain nombre de lustres que je pratique. Je pense être assez claire. Mais peut-être pas… En tout cas, c’est pas gagné. Je me demande si j’ai encore le lustre que j’ai eu il y a quelques années, mais je chasse l’idée, inutilement décourageante. Je pense à Django.

Ah oui, Django…

Je sors de ma boîte à outils l’anatole, pour enfoncer le clou – l’indubitable anatole, le recours extrême… quand même, ça, on peut rien dire, c’est limpide de chez limpide ! -, on le chante, on le reconnaît, je me démène, c’est bon, ça vient, je touche au but, j’ai chaud, mais c’est presque grandiose.

L’heure de fin sonne, je suis contente de moi. Le message est passé ! Certains regards sont plus clairs. Gloria in excelsis !

Après le cours, quelques étudiants traînent autour de mon bureau, pour me demander des précisions, pour se faire connaître, pour attirer mon attention dans la foule – ils sont nombreux, la salle déborde – que sais-je.

Certains renoncent avant que ça soit leur tour. On ne se connaît pas encore. Je fais partie d’une institution qui en impose. Que ce soit à tort qu’elle en impose maintenant, ils ne le savent pas encore.

Un garçon s’avance, cheveux longs réunis en queue de cheval, bracelet en cuir clouté, épaules légèrement rentrées, air timide, un peu triste, mais très sérieux. Hésitation… il se lance.

– M’dame, j’ai bien écouté le cours, j’ai compris tout ce qu’on a fait, j’ai fait tous les exercices… euh, je voulais vous demander… vous avez donné tous les exemples au piano. Mais moi… euh… je joue de la guitare… je me demandais si les gammes… ben, si c’est pareil, quoi ?

Sa question me rappelle un lointain Apostrophes dans lequel Pivot avait réuni des chanteurs (Gainsbourg, Béart, Chedid et d’autres que j’ai oubliés…) autour du thème : la chanson est-elle un art mineur ? Gainsbourg s’était installé au piano, totalement bourré, et avait fait un sketch improvisé assez brillant et provocateur – évidemment – dont le but était de montrer la supériorité absolue du piano sur la guitare, pour se moquer et se démarquer de Béart, qui avait réagi au quart de tour. Gainsbourg, sans s’interrompre de (fort bien) jouer, avait demandé : « qu’est-ce qu’il a dit, le blaireau ? » (blaireau qui avait affirmé qu’il pratiquait de l’art avec un grand A alors que G. se plaisait à démontrer, avec un ton qui faisait qu’on ne pensait pas une seconde qu’il y croyait, que lui était au contraire, dans le registre mineur)

J’esquisse un large sourire intérieur – ce passage de l’émission m’avait amusée -, et une réponse en forme de blague, que je ne pense pas et n’énoncerai pas non plus, à propos des limites intrinsèques de la guitare par rapport au piano, et finis par répondre que « même pour la flûte à bec, je suis formelle… »

Pendant ce temps-là, une fille – cheveux violets, piercing à la lèvre inférieure – pianote quelques notes à la fin de l’heure, attendant que j’aie fini de répondre. C’est son tour. J’ai interrompu son jeu. Discours différent. Provoc’.

– Je fais de la musique depuis trois ans, et ce que vous nous avez expliqué, c’est trop compliqué. Moi, j’y comprendrai jamais rien, et ça m’empêchera pas de jouer.

Doucement, je lui réponds que ce n’est pas si compliqué que cela, et que, lorsqu’on identifie ce que l’on joue (les « mots » musicaux, leur ordonnancement…), ça aide aussi à l’apprendre plus vite.

Comme dans une langue à déclinaisons, quand on identifie le COD dans une phrase, ça facilite.

J’ai reconnu les deux accords qu’elle a utilisés.

– par exemple, là, sais-tu ce que tu as joué ?

– ben oui, c’était du Radiohead ! C’te question !

Je ne lui dis pas que j’ai reconnu. Je n’aurais pas dû lui parler du COD : ça fait belle lurette qu’on n’appelle plus ça comme ça.

Je me demande si les jeunes générations connaissent encore l’expression belle lurette.

S’ils savent la durée d’un lustre.

Je devrais faire attention à poser des questions plus précises.

Je ne reformule pas. Je sors dans le patio.

Juste deux minutes, faire redescendre la pression.

Je pense à Django. Il fait chaud, mais j’ai un peu froid.

©Bleufushia

 


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Proches de la syncope (3)

OI___e1Les jours se suivent et ne se ressemblent pas.
Aujourd’hui, la fille sage à la blondeur candide était sage – pas forcément candide, mais je n’en sais rien, au fond – et ne rêvait pas.
Ou du moins, ça ne se voyait pas.
Mais un garçon – mèche sur l’oeil dans un désordre savamment élaboré, sourire timide, famille apparemment aisée, mais léger accent des banlieues – à qui je me suis aventurée à demander des précisions sur un rythme, m’a répondu après un moment de douloureuse réflexion… « il est trop bâtard, ce rythme, madame ! »
Sa bonne volonté à me répondre s’est heurtée à mon sourire réjoui. Il a pris l’air désolé de celui qui se dit que, trop tard, il s’est loupé, et cette réplique va le suivre et lui coller à la peau le temps de sa scolarité.
J’avoue que je ne m’étais jamais interrogée, avant sa remarque, sur la parentèle de la syncope, c’est sans doute un tort.
Cependant, j’ai trouvé que ce garçon, qui ne connaissait visiblement pas intimement le rythme en question, le jugeait quand même un peu vite.
Je crois qu’à son âge, je n’aurais pas osé être si péremptoire.

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NB 1.3.1.2. = A.C.A.B (All Cops Are Bastards)


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Tutu (2)

A quoi rêve la fille sage assise au premier rang (rêve photographié avec son autorisation rougissante), au début de l’après-midi, pendant que je fais cours en pensant au buisson et à la sirène de Marie, associations qui me sont venues, je ne sais pourquoi – riant intérieurement, mais sans me départir du sérieux de mon propos – sur fond musical d’Ogres de Barbak ?
Ah la la, quelle salade russe, celle des pensées intimes qui se croisent sans se mélanger, des songes de tous qui se promènent dans l’air, nonchalamment, chacun de nous en suspension et au chaud dans sa propre tête !

Danseuse à l'épluchure ©Bleufushia

Danseuse à l’épluchure ©Bleufushia

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Le prénom de Brahms (1)

aimez-vous-brahms-1961-04-g

Je fais un cours aux nouvelles recrues. Lent, patient, souriant, le cours, faut pas les brusquer, faut les conduire avec douceur, pour ne pas les faire fuir, ni les décourager. Je fais ça au mieux, sur une musique douce et connue.
Aimez-vous Brahms ? Je ne leur ai pas demandé, nous n’avons pas les mêmes références, on n’est définitivement pas de la même époque, ça ne ferait sourire que moi.

Je m’attarde un peu dans ma salle avant de m’en aller.
Dans le patio que je traverse ensuite, les premières années sont en pause. Ça papote tranquillement, des petits groupes commencent à se constituer par affinités, ça devient convivial. Ça se mélange entre musiques différentes, les classicos restent un peu de côté, les autres tentent des rapprochements.
Je passe à côté d’un de la catégorie rasta, les couleurs et les dreadlocks qui vont avec, le futal ample, les yeux un peu embrumés, auréolé d’une odeur pas totalement licite. Il ne s’est pas levé à l’heure, et je ne l’ai pas vu en classe, c’est normal, je fais cours à l’aube, un vendredi, c’est pas humain.

Cependant, il se renseigne. Un bon point quand même…

Le renseigneur est un métalleux, ti shirt à l’effigie d’un groupe obscur, tatouages, l’air encore un peu endormi.
– Et elle a fait quoi, la prof ?
– Bof, euh (bref silence hésitant) un truc de Chaipaskoi Brahms, ch’crois…
Un bon point, il a presque retenu le nom, le prénom, peut-être la semaine prochaine ?
Il me faut savoir me réjouir de toutes les avancées.

©Bleufushia