Petite chronique totalement fragmentaire, amusée et subjective du jeudi 19 février (Lili Ze Prof et ses démêlés avec les mots et leur sens)
(Pour ceux qui ont un peu de mal, j’ai mis un lexique à la fin de l’article, à la demande expresse de mon amie Hélène, pour qu’elle puisse me suivre dans mon exaltant quotidien)
♪ CA Y EST ! Me too !!!
Je suis au piano, dans la classe des débutants, et tout à coup, comme ça, j’intercale au milieu de ce que je suis en train de leur jouer une phrase musicale improvisée.
Un étudiant au premier rang apprécie, et sur le coup de la surprise, il me lance :
« ouaouh, m’dame, c’est super swag, ça ! »
Bon, je suis d’accord avec vous, il n’a pas dit que c’était MOI qui étais swag, il a juste parlé de la production (modeste au demeurant) de mes petits doigts velus, mais si maintenant on ne peut plus extrapolationner librement, je vous demande un peu où on vit, là ! hein ?
Mais voyez à quoi tiennent les choses : si je n’étais pas allée me renseigner sur le sens du mot swag il y a peu, je n’aurais même pas goûté ce compliment spontané.
Alors que là, je sens que je suis « encore plus swag que tout à l’heure », « et c’est bon ».
Je préfère ça à ce que j’entends juste après.
Ils ont eu la veille un cours sur Haydn, et le prof leur a montré un portrait du musicien.
Ils évoquent ça, en se bidonnant – je les ai entendus (c’était fait pour) et leur demande en quoi la binette de Haydn prête à rire.
– Ben, m’dame, on dirait le sosie du prof avec une perruque !
Bon, je viens de rentrer chez moi, et je vous dis que ce n’est pas vraiment flagrant !
♪ L’heure suivante, je suis en cours avec les grands : je passe dans les rangs, et je vérifie où ils en sont de l’exercice qu’ils font.
J’arrive à côté de J., un bon étudiant qui cache ses yeux gentiment moqueurs sous des dreads.
Avec lui, depuis l’an dernier, on plaisante, par petites touches rigolardes.
C’est léger, marrant : il aime bien s’amuser en travaillant et moi aussi. Souvent, il a l’initiative.
Là, j’émets une taquinerie à propos d’une légère incohérence dans ce qu’il a écrit : je sais qu’il est capable de corriger sans problème, et qu’il ne prendra pas mal ma plaisanterie bienveillante.
Il saisit ma remarque, et y réagit en direction de ses copains :
« oh, les mecs, la prof, elle m’a trotrollé ! »
« Trotroller » ? J’ai un petit moment d’inquiétude, puis j’identifie le verbe : »trop troller ». Je l’ai déjà croisé sur le net, dans le sens de celui qui crée une polémique pour semer une mauvaise ambiance.
Mais à la façon dont J. rit ouvertement, je me détends.
Tant qu’il n’a pas dit « trop flamé », tout baigne
Pfff, je sens qu’il faut que je vous aide (dans la rubrique : comment frimer à peu de frais avec Wikipedia !) : flamé, de « flaming ».
Wikipedia, au demeurant, est grandiose lorsqu’il définit le troll bénin – l’inverse du flaming, justement.
Je cite : « Le troll bénin est un troll tout ce qu’il y a de plus bénin ».
On est rassuré ! Si les trolls bénins se mettaient à être malins… je n’ose même pas y penser !
Mais enfin, heureusement qu’il est là. J. m’aurait accusé de le troller avant l’invention d’internet, j’aurais fait quoi, à part avoir l’air complètement gourde ?
♪ J’ai dix minutes avant le cours suivant, je vais prendre l’air jusqu’au hall. Le hall dont je vous ai déjà parlé : pour protéger des travaux, un placo a été monté, sur lequel les étudiants graffent, taguent, dessinent, s’expriment.
Ça a suscité pas mal de polémiques depuis qu’il est là, d’autant qu’il a été repeint aussitôt recouvert, et recouvert aussitôt repeint. Il y a les pour, les contre…
Les étudiants de musique ont été « regardés du doigt » (c’est un collègue en forme qui m’a dit ça comme ça) comme les responsables de tout ce qui était inscrit. Je passe devant le placo en question, au milieu d’un groupe de muzicos de première année. Ils sont en train de lire un message assez long (et d’une teneur à la clarté relative, mais rédigé en assez bon français).
Un de mes étudiants m’interpelle en riant :
– En tout cas, m’dame, ça, c’est sûr que c’est pas les zicos qui l’ont écrit !
Un de ses copains lui demande pourquoi il dit ça.
Il rit encore et dit : « fastoche à deviner ! nous, les zicos, on sait pas écrire aussi bien que ça ! »
Un autre de ses copains commente : « pas faux ! »
♪ L’heure d’après, j’ai la classe des moyens.
Je distribue une photocopie, et je ne sais comment, j’oublie C. lors de mon passage.
Il réclame sa feuille avec un air sur joué de victime (pour rire).
Je la lui donne en faisant remarquer qu’il a raison de protester si je fais preuve d’ostracisme à son égard. Il me regarde, interrogatif, et conclue l’affaire en disant que ce n’est rien, il sait bien que je ne suis pas raciste.
♪ Un peu plus tard, je passe une musique qui a l’air de leur plaire.
J’entends un commentaire, énoncé par un gars du deuxième rang, vêtu d’un débardeur qui laisse voir des tatouages nombreux (à propos, il faudrait que je fasse une étude un peu approfondie, mais je ne vous dis pas le nombre de jeunes tatoués, garçons et filles confondus : encore une tendance – pas totalement nouvelle certes, mais dont la généralisation presque totale me semble quand même assez récente). Sur sa tête, une crête verte au décoiffé savamment étudié.
– C’est Dallas, ça…
Je n’ai pas repéré s’il s’agit d’une affirmation ou d’une question.
Je m’en enquiers.
– Ben, franchement, ça tue, quoi !
Ah bon ! ok ! Tant mieux si tu aimes, mon gars. J’en suis contente.
♪ A nouveau les grands. Je félicite l’un d’eux, qui me demande :
– Alors, c’est pas veripourre ? (avec un accent provençal prononcé)
Je m’étonne un peu.
La classe me raconte alors qu’un de leurs profs a établi une échelle d’étoiles pour évaluer leurs productions. 5 étoiles, c’est « marvellous » (avé l’assent), 1 étoile, c’est « very poor », et les autres étoiles, c’est 2, 3 et 4, tout simplement.
Le système les amuse beaucoup (et moi avec). J’adopte !
♪ Un médiator marqué AC/DC a été abandonné sur une table.
Je demande aux guitaristes les plus proches s’ils ne savent pas à qui il est. A. me répond, expert, en examinant le petit bout de plastique :
– Je n’en sais rien, mais en tout cas, il est trop fin pour jouer du AC/DC : il est juste bon pour du Oasis.
F. rajoute :
– ah oui, LOL. A. a raison, m’dame, je plussoie !
Moi, je n’ai, tout simplement, pas d’avis sur la question.
La journée se termine. Je rentre chez moi, et passe devant un panneau publicitaire, à la nuit tombante.
Je me trouve personnellement assez peu de rayonnance après des heures de travail, encore moins de rayonescence. Je me demande un peu, dans un accès de légère parano, si ce n’est pas une attaque personnelle, pour souligner combien je suis trop « very poor ».
Mais non, me susurre une petite voix, t’es pas very poor, t’es super swag, remember !
Ah oui, ouf !
J’arrive chez moi, j’ouvre mon courrier.
Un récapitulatif des remboursements de ma mutuelle (ils feraient mieux de ne pas récapituler : je vois que je n’y comprends rien, à leur papier, sauf que les moins sont plus nombreux que les plus). Je parcours machinalement les lignes, et vois qu’on me rembourse une « dispensation ». Kézaco encore ce truc ? Je préfèrerais qu’on me rembourse mes médocs, simplement, comme avant, quoi… enfin, si j’ai le choix… non ? je ne l’ai pas ? bon, merci !
Je suis fatiguée, soudain, il me semble que je ne vais jamais arriver à rester à flot avec tous ces mots qui volent dans l’air du soir.
J’empoigne la dernière BD qui a eu le prix Fnac.
« Un océan d’amour ». 200 pages sans un gramme de texte.
C’est exactement ÇA qu’il me faut.
©Bleufushia
Pour ceux qui (comme moi) ont un peu de difficulté à s’y retrouver, voici un embryon de lexique – un peu à la louche
Avoir du swag : avoir du style (et les idées dérivées). Il remplace « être (trop) cool », « être « staïle » (je l’écris comme on le prononce).
Ce terme vient apparemment du rap (depuis 2008) et il est fréquemment utilisé par les moins de 25 ans et semble désormais si important qu’il devient l’objet de concours ! Sur youTube, les adolescents s’illustrent dans des centaines de vidéos où ils enseignent comment « avoir du swag ».
Troller : créer une polémique avec des messages provocants (se pratique sur les réseaux sociaux et sur les sites d’information, entre autres). C’est ouvertement de la pollution dont le but est de faire en sorte que tout le monde s’engueule.
En tout cas, cela vise à obtenir une réaction.
Par extension, tout ce qui peut faire enrager quelqu’un.
Cela peut avoir un sens plus léger, de private joke, ou de moquerie fraternelle.
Le flaming est une extension du troll, ouvertement très agressive (et donc, qualifié de troll malin).
Pour arrêter un troll, il faut « arrêter de le nourrir ».
Les Zicos : ben, les musicos, quoi !
Ceux qui pratiquent les musiques actuelles amplifiées sont généralement qualifiés de ziczac (ou des ziczaqueux).
Ostracisme : on sait pas. Sans doute un genre de racisme à l’ouest ? ou à l’os ? mystère et boule de gomme !
Ca tue : c’est super hyper trop bon !
AC/DC : un groupe de musique de hard rock, pionnier du heavy metal, du métal, quoi, un gros son avec de la guitare très distordue et de la batterie plein pot les manettes. Le volume sonore est maxi. Le ti shirt AC/DC est le plus porté parmi les zicos.
Oasis : rock psychédélique, plus tranquille que le précédent.
Un médiator : c’est le petit bout de plastique en forme de goutte qui sert à faire chdoïng sur les cordes de guitare.
LOL, je plussoie : du langage djeuns d’ordi (encore que le LOL apparaisse de plus en plus in the real life). Traduction : qu’est-ce que je me marre alors ! t’as mis un like, j’en mets un aussi (un de plus !)
Dispensation : un soin qui t’est dispensé (genre par un dentiste) si j’ai bien tout pigé.