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Chuis swag… foutrement swag (23)

sddefaultPetite chronique totalement fragmentaire, amusée et subjective du jeudi 19 février (Lili Ze Prof et ses démêlés avec les mots et leur sens)
(Pour ceux qui ont un peu de mal, j’ai mis un lexique à la fin de l’article, à la demande expresse de mon amie Hélène, pour qu’elle puisse me suivre dans mon exaltant quotidien)

♪ CA Y EST ! Me too !!!

Je suis au piano, dans la classe des débutants, et tout à coup, comme ça, j’intercale au milieu de ce que je suis en train de leur jouer une phrase musicale improvisée.

Un étudiant au premier rang apprécie, et sur le coup de la surprise, il me lance :

« ouaouh, m’dame, c’est super swag, ça ! »

Bon, je suis d’accord avec vous, il n’a pas dit que c’était MOI qui étais swag, il a juste parlé de la production (modeste au demeurant) de mes petits doigts velus, mais si maintenant on ne peut plus extrapolationner librement, je vous demande un peu où on vit, là ! hein ?

Mais voyez à quoi tiennent les choses : si je n’étais pas allée me renseigner sur le sens du mot swag il y a peu, je n’aurais même pas goûté ce compliment spontané.

Alors que là, je sens que je suis « encore plus swag que tout à l’heure », « et c’est bon ».

Je préfère ça à ce que j’entends juste après.

Ils ont eu la veille un cours sur Haydn, et le prof leur a montré un portrait du musicien.

Ils évoquent ça, en se bidonnant – je les ai entendus (c’était fait pour) et leur demande en quoi la binette de Haydn prête à rire.

– Ben, m’dame, on dirait le sosie du prof avec une perruque !

Bon, je viens de rentrer chez moi, et je vous dis que ce n’est pas vraiment flagrant !

♪ L’heure suivante, je suis en cours avec les grands : je passe dans les rangs, et je vérifie où ils en sont de l’exercice qu’ils font.

J’arrive à côté de J., un bon étudiant qui cache ses yeux gentiment moqueurs sous des dreads.

Avec lui, depuis l’an dernier, on plaisante, par petites touches rigolardes.

C’est léger, marrant : il aime bien s’amuser en travaillant et moi aussi. Souvent, il a l’initiative.

Là, j’émets une taquinerie à propos d’une légère incohérence dans ce qu’il a écrit : je sais qu’il est capable de corriger sans problème, et qu’il ne prendra pas mal ma plaisanterie bienveillante.

Il saisit ma remarque, et y réagit en direction de ses copains :

« oh, les mecs, la prof, elle m’a trotrollé ! »

« Trotroller » ? J’ai un petit moment d’inquiétude, puis j’identifie le verbe : »trop troller ». Je l’ai déjà croisé sur le net, dans le sens de celui qui crée une polémique pour semer une mauvaise ambiance.

Mais à la façon dont J. rit ouvertement, je me détends.

Tant qu’il n’a pas dit « trop flamé », tout baigne

Pfff, je sens qu’il faut que je vous aide (dans la rubrique : comment frimer à peu de frais avec Wikipedia !) : flamé, de « flaming ».

Wikipedia, au demeurant, est grandiose lorsqu’il définit le troll bénin – l’inverse du flaming, justement.

Je cite : « Le troll bénin est un troll tout ce qu’il y a de plus bénin ».

On est rassuré ! Si les trolls bénins se mettaient à être malins… je n’ose même pas y penser !

Mais enfin, heureusement qu’il est là. J. m’aurait accusé de le troller avant l’invention d’internet, j’aurais fait quoi, à part avoir l’air complètement gourde ?

Info-jouet-1998-troll♪ J’ai dix minutes avant le cours suivant, je vais prendre l’air jusqu’au hall. Le hall dont je vous ai déjà parlé : pour protéger des travaux, un placo a été monté, sur lequel les étudiants graffent, taguent, dessinent, s’expriment.

Ça a suscité pas mal de polémiques depuis qu’il est là, d’autant qu’il a été repeint aussitôt recouvert, et recouvert aussitôt repeint. Il y a les pour, les contre…

Les étudiants de musique ont été « regardés du doigt » (c’est un collègue en forme qui m’a dit ça comme ça) comme les responsables de tout ce qui était inscrit. Je passe devant le placo en question, au milieu d’un groupe de muzicos de première année. Ils sont en train de lire un message assez long (et d’une teneur à la clarté relative, mais rédigé en assez bon français).

Un de mes étudiants m’interpelle en riant :

– En tout cas, m’dame, ça, c’est sûr que c’est pas les zicos qui l’ont écrit !

Un de ses copains lui demande pourquoi il dit ça.

Il rit encore et dit : « fastoche à deviner ! nous, les zicos, on sait pas écrire aussi bien que ça ! »

Un autre de ses copains commente : « pas faux ! »

♪ L’heure d’après, j’ai la classe des moyens.

Je distribue une photocopie, et je ne sais comment, j’oublie C. lors de mon passage.

Il réclame sa feuille avec un air sur joué de victime (pour rire).

Je la lui donne en faisant remarquer qu’il a raison de protester si je fais preuve d’ostracisme à son égard. Il me regarde, interrogatif, et conclue l’affaire en disant que ce n’est rien, il sait bien que je ne suis pas raciste.

♪ Un peu plus tard, je passe une musique qui a l’air de leur plaire.

J’entends un commentaire, énoncé par un gars du deuxième rang, vêtu d’un débardeur qui laisse voir des tatouages nombreux (à propos, il faudrait que je fasse une étude un peu approfondie, mais je ne vous dis pas le nombre de jeunes tatoués, garçons et filles confondus : encore une tendance – pas totalement nouvelle certes, mais dont la généralisation presque totale me semble quand même assez récente). Sur sa tête, une crête verte au décoiffé savamment étudié.

– C’est Dallas, ça…

Je n’ai pas repéré s’il s’agit d’une affirmation ou d’une question.

Je m’en enquiers.

– Ben, franchement, ça tue, quoi !

Ah bon ! ok ! Tant mieux si tu aimes, mon gars. J’en suis contente.

♪ A nouveau les grands. Je félicite l’un d’eux, qui me demande :

– Alors, c’est pas veripourre ? (avec un accent provençal prononcé)

Je m’étonne un peu.

La classe me raconte alors qu’un de leurs profs a établi une échelle d’étoiles pour évaluer leurs productions. 5 étoiles, c’est « marvellous » (avé l’assent), 1 étoile, c’est « very poor », et les autres étoiles, c’est 2, 3 et 4, tout simplement.

Le système les amuse beaucoup (et moi avec). J’adopte !

♪ Un médiator marqué AC/DC a été abandonné sur une table.

Je demande aux guitaristes les plus proches s’ils ne savent pas à qui il est. A. me répond, expert, en examinant le petit bout de plastique :

– Je n’en sais rien, mais en tout cas, il est trop fin pour jouer du AC/DC : il est juste bon pour du Oasis.

F. rajoute :

– ah oui, LOL. A. a raison, m’dame, je plussoie !

Moi, je n’ai, tout simplement, pas d’avis sur la question.

La journée se termine. Je rentre chez moi, et passe devant un panneau publicitaire, à la nuit tombante.

IMG_2715Je me trouve personnellement assez peu de rayonnance après des heures de travail, encore moins de rayonescence. Je me demande un peu, dans un accès de légère parano, si ce n’est pas une attaque personnelle, pour souligner combien je suis trop « very poor ».

Mais non, me susurre une petite voix, t’es pas very poor, t’es super swag, remember !

Ah oui, ouf !

J’arrive chez moi, j’ouvre mon courrier.

Un récapitulatif des remboursements de ma mutuelle (ils feraient mieux de ne pas récapituler : je vois que je n’y comprends rien, à leur papier, sauf que les moins sont plus nombreux que les plus). Je parcours machinalement les lignes, et vois qu’on me rembourse une « dispensation ». Kézaco encore ce truc ? Je préfèrerais qu’on me rembourse mes médocs, simplement, comme avant, quoi… enfin, si j’ai le choix… non ? je ne l’ai pas ? bon, merci !

Je suis fatiguée, soudain, il me semble que je ne vais jamais arriver à rester à flot avec tous ces mots qui volent dans l’air du soir.

J’empoigne la dernière BD qui a eu le prix Fnac.

« Un océan d’amour ». 200 pages sans un gramme de texte.

C’est exactement ÇA qu’il me faut.

©Bleufushia

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Pour ceux qui (comme moi) ont un peu de difficulté à s’y retrouver, voici un embryon de lexique – un peu à la louche

Avoir du swag : avoir du style (et les idées dérivées). Il remplace « être (trop) cool », « être « staïle » (je l’écris comme on le prononce).
Ce terme vient apparemment du rap (depuis 2008) et il est fréquemment utilisé par les moins de 25 ans et semble désormais si important qu’il devient l’objet de concours ! Sur youTube, les adolescents s’illustrent dans des centaines de vidéos où ils enseignent comment « avoir du swag ».

Troller : créer une polémique avec des messages provocants (se pratique sur les réseaux sociaux et sur les sites d’information, entre autres). C’est ouvertement de la pollution dont le but est de faire en sorte que tout le monde s’engueule.

En tout cas, cela vise à obtenir une réaction.
Par extension, tout ce qui peut faire enrager quelqu’un.
Cela peut avoir un sens plus léger, de private joke, ou de moquerie fraternelle.
Le flaming est une extension du troll, ouvertement très agressive (et donc, qualifié de troll malin).
Pour arrêter un troll, il faut « arrêter de le nourrir ».

Les Zicos : ben, les musicos, quoi !
Ceux qui pratiquent les musiques actuelles amplifiées sont généralement qualifiés de ziczac (ou des ziczaqueux).

Ostracisme : on sait pas. Sans doute un genre de racisme à l’ouest ? ou à l’os ? mystère et boule de gomme !

Ca tue : c’est super hyper trop bon !

AC/DC : un groupe de musique de hard rock, pionnier du heavy metal, du métal, quoi, un gros son avec de la guitare très distordue et de la batterie plein pot les manettes. Le volume sonore est maxi. Le ti shirt AC/DC est le plus porté parmi les zicos.

1000x1000Oasis : rock psychédélique, plus tranquille que le précédent.

Un médiator : c’est le petit bout de plastique en forme de goutte qui sert à faire chdoïng sur les cordes de guitare.

LOL, je plussoie : du langage djeuns d’ordi (encore que le LOL apparaisse de plus en plus in the real life). Traduction : qu’est-ce que je me marre alors ! t’as mis un like, j’en mets un aussi (un de plus !)

Dispensation : un soin qui t’est dispensé (genre par un dentiste) si j’ai bien tout pigé.

 


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Faille spatio-temporelle (22)

Lauren Conrad

Lauren Conrad

La saison douce amère des examens est passée, on a à nouveau le pied à l’étrier. Avec moins d’entrain. Ça recommence un peu mou, un coup de l’hiver, du froid, de la fatigue.

Les mêmes, mais dans des matières différentes.

Avec les « moyens » (je veux dire les étudiants de deuxième année) avec lesquels j’ai eu un peu de mal*, je démarre un nouveau cours – en option pour eux – la pédagogie.

Mon propos n’est pas de leur enseigner quoi que ce soit de précis de ce vaste sujet, mais de les amener à réfléchir et à faire des choix. Ils se destinent à exercer un métier dans une société dans laquelle le collège est un volcan, et le service public sinistré. On va leur demander de relayer l’idéologie dominante, et j’essaie de les amener à se positionner sur les questions philosophiques, politiques (au sens large), sociologiques et psychologiques qui détermineront la façon dont ils y répondront et se poseront en tant qu’adulte agissant, sujet réfléchissant et non servile.

Pour moi, un prof, c’est quelqu’un qui est d’abord capable de résister à un monde aux valeurs exclusivement marchandes pour en proposer d’autres, en se situant radicalement du côté de l’humain (enfin, je vous la fais à la louche). Pour ça, je ne fais pas cours à proprement parler, mais je leur propose des situations collectives (débats, dynamique de groupe, réflexion sur documents…) qui les amènent à reconsidérer leurs idées toutes faites sur la question, et à commencer à avancer sur leur propre chemin.

Autant dire que ce n’est pas totalement gagné d’avance. Jamais. Et cette année, je le sens mal. Mais je vais positiver comme une bête !

Et alors… ça va ?

Comme répondait un collègue à qui je posais cette question : « mieux friserait l’indécence ! »

Je vais au petit coin (riant endroit au sein de l’établissement d’excellence dans lequel je tente de professer – jamais de papier, sol humide et douteux, chasse au fonctionnement aléatoire… le quotidien d’une fac, quoi !) avant mon entrée dans la fosse aux lions (c’est une blague, ils ne sont pas féroces) et me prends à fixer un graffiti (franco-anglais ?) déposé par une main anonyme sur un des murs :

« Désoler de brisé ton rave idilique ».

Quelqu’un a barré « rave » et écrit « rève » à la place. Un puriste de la langue, sans doute.

Je médite à propos de ce qui a bien pu briser le mien, tout en remarquant l’emploi recherché du verbe. Dans ce lieu, c’est « péter ton rêve » qui serait d’ordinaire plutôt employé.

Allez, on se motive, on y va.

lagon des sirènes (Tokyo Disney Sea)

lagon des sirènes (Tokyo Disney Sea)

Ils sont 25 à avoir choisi l’option. Pas forcément 25 qui deviendront tous profs, mais en principe, 25 qui tendent vers ça. Parmi eux, Pauline the best, la fille des « feux de l’amour » et son bien-aimé Y « l’inoubliable », le garçon lymphatique qui aime Téfal (compositeur espagnol bien connu), P. le swag à la console, T., l’homme aux crayons Ikea, son copain M. et un autre de ses potes (celui du loto-suggestion), mais aussi d’autres que vous ne connaissez pas encore.

La fille au tutu a choisi une autre filière. Dommage, elle est quand même très gentille et enthousiaste. Elle en trouve toujours une pour m’étonner. Il en faut des comme ça**.

Je démarre par quelque chose qui est toujours très intéressant – pour eux et pour moi : un tour de table dans lequel je leur demande de raconter à tout le monde leur meilleur souvenir scolaire, et, dans un deuxième tour, leur pire souvenir.

Le bon souvenir est d’ordinaire une sortie scolaire, un prof gentil qui a marqué, une réussite au bac que l’on croyait louper. Cette année, pour la première fois, changement de ton.

Plusieurs racontent – avec des têtes à qui on donnerait le bon dieu sans confession – des actes délictueux qu’ils ont commis au collège ou au lycée (bouchage de serrure, destruction de matériel scolaire, dégradation de bâtiment) sans se faire prendre, et ça les amuse visiblement, comme une nécessaire vengeance impunie.

C’est assez étonnant : ces étudiants qui se destinent à devenir partie prenante de l’école et qui commencent leur parcours en expliquant combien ils ont aimé la démolir. Ça va changer la donne : avant les profs se recrutaient essentiellement parmi les bons élèves sages. Qui sait ce que cela peut modifier ?

Un autre, assez timide, très calme, se lance dans une histoire : en 4ème, il a eu une prof qui est partie à la retraite à la fin de l’année, il décrit rapidement la fête d’adieu, les cadeaux et raconte que l’enseignante, devant cette fête, s’est mise à pleurer, prise d’émotion. Et son bon souvenir est là, justement dans cette enseignante qui pleure.

La règle que j’ai donnée sur ce tour est qu’on ne commente pas ce que les gens choisissent de raconter.

Je m’autorise à la rompre : « en quoi est-ce un bon souvenir ? »

La réponse est immédiate : « parce que c’est la seule fois où j’ai eu la sensation d’avoir affaire à quelqu’un d’humain, puisqu’elle était capable de pleurer ».

Je n’ai pas le temps de me demander quelle conclusion tirer de son histoire que le deuxième tour commence, celui des mauvais souvenirs.

D’ordinaire, depuis des années, il s’agit d’injustices, de punitions, de profs maladroits ou sadiques.

Cette année, nouveau changement : la plupart des récits sont des récits de violence à l’école ; harcèlements, racket, humiliations, qui, pour certains, se sont échelonnés sur des années…

Nul doute que ces jeunes n’ont pas eu, en rien, une enfance semblable à la nôtre.

Une fois la classe prise en main par cette entrée en matière, qui permet aussi à chacun de prendre d’emblée une place dans le groupe (personnelle et chaleureuse – il y a des rires, de l’attention, des sourires, et certains s’expriment pour la première fois devant les autres), je fais un nouveau tour de table, précédé de quelques minutes de réflexion, en leur demandant de communiquer aux autres une ou deux questions qu’ils se sont toujours posées à propos d’éducation (ou de l’école, ou du métier de prof, ou…).

Cette façon de commencer me permet de les laisser choisir un premier sujet sur lesquels je vais rebondir pour faire émerger leurs représentations pour, ensuite, les faire travailler et réfléchir à la fois sur le sujet et sur l’idée qu’ils s’en font.

D’habitude, ça fuse : avec beaucoup de questions portant le plus souvent sur l’autorité (grosse angoisse du futur prof), le statut de prof, les méthodes…

Et là, pour moi, du jamais vu ! (c’est l’année des premières fois, ça a commencé comme ça et ça continue).

Sur 25 étudiants (et malgré mon insistance), 12 déclarent ne se poser aucune question.

– AUCUNE ?

J’en tombe des nues (pouf, toc, elle tombe, dirait Bobby Lapointe).

– Aucune ? je redemande avec plus de douceur.

– Aucune, niet niet cacahuettes, rien du tout, nichts, not at all, qu’ils me répondent.

– Mais vous comptez faire profs et vous ne vous demandez rien sur ce métier ?

– Non, rien de rien.

– Vous êtes certains de ne pas vous êtes trompés de filière ?

– Non, m’dame, on vous assure, on veut faire prof.

– Mais, mais (j’en bredouille), être prof, c’est se poser des questions, entre autres.

– Ben non, m’dame, un prof, ça « sait ».

648x415_illustration-pompiersJe lâche l’affaire pour le moment, et continue le tour, jusqu’à un qui a une question.

Ah, ouf ! C’est T. (sans ses crayons Ikéa, qu’il a rangés depuis ma précédente sortie).

– Moi, m’dame, j’ai entendu dire qu’on n’avait plus le droit d’utiliser des notes avec les enfants.

(Je ne sais pas si vous avez suivi l’affaire, mais le ministère de l’éduc nat a parlé de les supprimer avant de faire marche arrière. Je le précise).

– Non, m’dame, je ne parle pas de notes en chiffres, mais des notes de musique. Il paraît qu’on ne peut plus faire de solfège, si vous voulez.

Je le regarde : il est sérieux et assez véhément.

Je lui demande où il a vu ça, il me parle du dessin qui a circulé sur internet, montrant un prof de musique devant un tableau sans portée.

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– Mais c’était une blague, ça ! un détournement rigolo du projet de loi qui n’avait rien à voir avec la musique.

– Non, m’dame, c’était sérieux !

Trois autres viennent à sa rescousse, pour appuyer ses dires et me faire prendre conscience de ma légèreté.

J’ai toutes les peines du monde à leur expliquer qu’il y a beaucoup de choses qui circulent sur internet (à commencer par le site Gorafi, par exemple) et qu’il faut toujours se demander si c’est du lard ou du cochon, et passer les infos au crible de l’esprit critique (ou de la vérification). Je vois bien qu’ils me regardent d’un air un peu dubitatif.

L’un d’eux hasarde que, si c’est écrit sur le net, c’est vrai. J’assure avec toute la force de conviction dont je suis capable qu’aucun rond-de-cuir n’aura l’idée d’une atteinte pareille, et qu’ils peuvent avancer vers l’avenir d’un pas tranquille sur ce sujet-là.

Aïe, trop tard, j’ai dit « rond-de-cuir ».

Mais quelle nouille ! Va-t-en t’expliquer après un faux-pas de ce genre.

Je vois leur regard : un rond de cuir avec des idées, c’est quoi encore, ce truc à la noix ? trop chelou, la prof !

– autre question ?

– oui, moi ! pourquoi les profs ne font pas réussir tout le monde ?

S’ensuit un début de débat entre eux, un peu mou, aucun argument n’arrivant à l’emporter.

– vous m’dame, vous en pensez quoi ?

– eh bien moi, les zenfants, j’en pense qu’il y a des orientations générales qui échappent aux profs, et qu’on n’est pas là, en fait, pour faire réussir tout le monde.

– hein, quoi ?

– euh, vous ne voulez quand même pas dire qu’on est là pour faire échouer des élèves ?

– oui, c’est ce que j’ai dit, en quelque sorte : le prof ne décide pas, par exemple, que 80 pour cent des élèves auront le bac et donc, 20 pour cent, non.

Un murmure enfle dans la classe ! quand même, cette prof, elle a vraiment de drôles d’idées.

Ma crédibilité en a pris un sale coup sur le nez.

Un étudiant prend la parole pour me sauver. Elle a raison, la prof, on ne peut pas donner le bac à ceux qui sont trop mauvais en orthographe, par exemple.

Là, d’une petite voix douce, je signale qu’ils ne sont pas tous totalement au top de ce côté-là, ce qui ne les empêche pas d’être intelligents, ni d’avoir eu leur bac, ni d’être dans une fac de lettres (c’est la promo des cordes sans archers and so on, je vous rappelle).

Je rajoute que depuis des années, question orthographe, ce n’est pas leur faute, mais c’est un peu la Bérézina.

Regard glauque des foules ! la Bérézina, c’est quoi ce truc ?

On continue à discuter un peu. Dès que j’énonce quelque chose qui peut avoir l’air « négatif », ils ne me croient pas.En revanche, ils s’obstinent dans une vision du monde comme exclusivement beau et bon. Comme déclarait Will Self dans un entretien lu hier sur Télérama, il existe « plein de gens qui croient que le monde est tel qu’ils le perçoivent ». Mes étudiants me paraissent de ce bois-là.

leandro erlich

Leandro Erlich

J’ai peu à peu la sensation de quelque chose très étrange, comme si une paroi de verre invisible les séparait de la réalité du monde, et nous séparait aussi. Comme si, par moments, je leur servais un mauvais récit de science fiction totalement improbable.

Mais me vient à l’idée, devant leur unanime réaction, que c’est moi qui vit dans la SF : peut-être est-ce moi qui pense que le monde est tel que je le perçois. Ou alors, pendant ce cours, possiblement, la terre a dû bouger, une fente s’est ouverte, et j’y ai chuté.

Seule dans une autre dimension temporelle.

Au secours !

Le cours se termine. Étonnamment, ils paraissent plutôt contents de la séance.

Lorsque je sors, une cloison a été montée pour nous isoler partiellement des travaux du campus. Sur cette cloison a déjà fleuri un tag : Zad partout.

Zone À Défendre…

Oui… Faudrait savoir où et quoi exactement. (et si c’était moi, la zone en question ? l’inscription est quand même à 15 mètres de ma salle seulement)

 

©Bleufushia

©Bleufushia

©Bleufushia

*cf. https://bleufushia.wordpress.com/2014/12/22/lombre-dun-doute-18/

** si vous ne les connaissez pas, c’est que vous avez loupé les épisodes précédents ! vous pouvez encore vous rattraper !


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Ross ou pas rosse, est-ce bien la question ?

Street-Art-Paris david walker2

David Walker (street art Paris)

J’me suis fait taguer par l’ébouriffée.
Tu vas écrire ta liste de Ross, qu’elle m’a dit. Enfin, elle a rajouté, si tu veux bien, parce qu’elle est gentille et polie, bien qu’ébouripoustouflée.
Et en plus, peuchère, c’était pas sa faute, elle s’était elle-même fait taguer par l’Heureuse Imparfaite, alors elle pouvait pas faire autrement !
Moi, Ross, je connaissais pas (a shame on me !) mais j’aime bien les listes.
Et elle m’a dit, en musique, c’est encore mieux. Là, elle est rosse, le tag thématique, franchement, c’est pas sympa !
Alors, ce Ross – c’est un mec de la série Friends – il a fait une liste des 5 personnalités qui le font craquer et avec qui il passerait bien une nuit ou plus si aff.
Et c’est ça, mon tag.
En musique, c’est pas forcément gagné : y a pas que la gueule, y a aussi la musique qu’ils jouent. Moi, je dissocie pas ! j’ai des principes !

Et là, ça complique, parce que dans les chouettes musiciens que j’aime, y a beaucoup de morts (et je vais pas faire dans la nécrophilie, si vous voulez bien), ou alors de pas beaux du tout, ou que j’adore écouter, mais que je n’aurais aucune envie de rencontrer. Alors, crac crac encore moins ! ou alors des mignonnets, mais qui se la pètent un peu…  bof, pas ma tasse de thé !

Et puis, malgré, peut-être, les réputations, les muzicos, à la réflexion, c’est pas forcément les plus sexys de l’univers. Pour progresser dans leur art, il leur a fallu des lustres de solitude et de monomanie, et souvent, le musicien est un ancien boutonneux misanthrope. Il peut s’arranger avec l’âge, mais c’est rare.

Bon, bon, ok, je sens que je traîne des pieds.
Je vous en ai quand même trouvé 5. J’ai pas choisi la facilité : j’aurais pu faire dans la rock star à paillettes, jeune et étincelante dans son costume de lumière.
Non, je me la suis joué plus charme secret.
Et je les classe pas, ok ? je les aime, mais c’est différent à chaque fois.

♥ Dans la catégorie drôle et attendrissant (ça peut faire craquer, non ?), y a Adoniran Barbosa (le seul qu’est mort de ma liste, hélas – je dis que je nécrophile pas, et je commence par là ! pfff, inconstance de la nana de base !), un pépé rigolo et farceur. Brésilien, il est, et il chante des chansons marrantes en brésilien – volontairement – approximatif. J’aurais adoré aller me jeter une caïpirinha en sa compagnie.

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Adoniran Barbosa (en train de marquer un rythme de samba sur une boîte d’allumettes)

Je vous mets un lien d’une de ses savoureuses chansons, O trem das onze (le train de 11 heures) : il explique à une gonzesse qui le drague qu’il ne peut pas rester, il ne veut pas rater son train, pour aller faire son ménage et s’occuper de sa môman (en gros).

https://www.youtube.com/watch?v=ceBdGz3eTFg

♥♥ (deux coeurs, c’est pas que j’aime plus, mais c’est pour compter jusqu’à 5 !)

Un autre brésilien – celui-là, quand je l’ai vu faire son jogging sur la plage d’Ipanema… quoi ! tu l’as vu sur la plage ??? … ouais, m’sieurs dames… et mon petit coeur s’est mis à pilpater très fort… quoi, on dit pas pilpater ? m’en fous un peu, ok ? – c’est le Chico (Buarque de Hollanda, je vous ferais dire). Beau, intelligent, musicien, écrivain, engagé…

Ouah !!!

chico buarque de hollanda (rafael vancan)

Chico Buarque de Hollanda (Rafael Vancan)

Vous connaissez sûrement son « Que sera que sera », que Nougaro a repris (Ah tu verras), mais il a chanté dans des styles différents – beaucoup de chansons politiques sous la dictature – mais pas que.
Une musique super connue de lui : Essa moça ‘tá diferente (cette fille est différente)

https://www.youtube.com/watch?v=mLk4EH9FWwI

(je ne vous affiche pas les vidéos sur ma page, c’est trop lourd : vous cliquez si vous voulez, d’ac ?)

♥♥♥ Michel Portal ! la classe. Un vrai humain, un bel homme, un musicien talentueux (classique, jazz avec ses clarinettes, bandonéon…), et en plus, il est intelligent ! (c’est pas le seul, mais ça fait partie des trucs qui me font craquer)

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Michel Portal

Depuis qu’il s’est mis au bandonéon, il me fait encore plus craquer.
Tiens un exemple (déjà ancien) : Bat sarrou (d’un vieux vinyl écouté et réécouté, et encore et encore)
https://www.youtube.com/watch?v=xdo2bSY08so

♥♥♥♥ ZE contrebassiste ! Ron Carter, pour ne pas le nommer. La grande classe, dans tous les sens du terme.

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Ron Carter

Musicien sensible jusqu’au bout des ongles, très bel homme, et, d’après mon amie Jeanne qui l’a rencontré en vrai et qu’a même joué avec (trop forte, mon amie Jeanne !), humain exceptionnel.
J’adore son album pour contrebasse piccolo.

Mais je vous ai choisi, aujourd’hui encore un titre brésilien : Manha de carnaval (matin de carnaval)

https://www.youtube.com/watch?v=UrosqpeW2TA

 ♥♥♥♥♥ Et pour finir, Gianmaria Testa, chef de gare poète, chanteur, doux homme décalé, humble et modeste anar (grand ami de Erri de Luca). Celui-là, quand même, c’est un avec qui j’aurais peut-être pu passer ma vie…

image

Gianmaria Testa

Un titre parmi d’autres, écouté en boucle aussi : Le traiettorie delle mongolfiere (les trajectoires des montgolfières)

https://www.youtube.com/watch?v=ow4y61l13_k

Ouf, ben, c’était pas facile !

Je tague à mon tour (mais vous pouvez adapter le « sexy » en autre chose, à mon avis, si vous voulez, et le traduire par coups de coeur – en période de St Valentin, ça peut le faire : after all, on fait ça qu’on veut !) Richard, Ruhe-le cirque et Aimery . Et Pierre, bien sûr !


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Décal’âge – le récit désabusé d’Ana Cro (21)

Tutti-Frutti-Girls cristina otero-

Tutti frutti girl (Cristina Otero)

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais on est rarement de la même génération que ceux qui ont 40 ans de moins que vous.
C’est une conclusion qui fait son chemin petit à petit dans ma caboche, à observer le microcosme qui évolue sous mes yeux dans le cadre de mon boulot.
Évidemment, vu de mon bout de lorgnette de vieille croûtonne, j’ai tendance à penser que c’était (souvent) mieux avant, et qu’on n’est définitivement pas sérieux quand on a 17 ans.
Mais en fait, ce n’est pas réellement ça la question : c’est plutôt que c’était différent, et plus simple autrefois.
Si je prends la musique, ben, d’un côté, il y avait les musiques savantes, de l’autre, les musiques populaires chics (avec différentes sous-catégories).
Puis se sont rajoutées des variantes, style rock / pop.

Là, on suivait encore fastoche.
Ensuite est venue l’ère des mixités improbables, des branches mutantes… et ça a commencé à devenir sacrément compliqué (quand on a un travail de transmission et d’éducation à faire dans ce domaine-là, j’entends) : entre le rock choucroute (Krautrock) et le Death rock, le post hardcore et le gipsy punk, et j’en passe, y a de quoi se faire des cheveux.
Maintenant, c’est, de plus en plus, un gigantesque méli-mélo, une salade de fruits (jolie jolie jolie), un tutti frutti intégral, dans lequel me semble percer cependant une tendance nouvelle qui éclipse en partie les autres (et me laisse, au passage, un peu pantoise).
Mais à bien y regarder, peut-être que ça a un rapport avec le « nintendocore » … et que, simplement, je ne l’avais pas vu venir.

Mais que je vous narre quelques instants volés au quotidien, pour que vous compreniez ce dont je subodore l’avènement (j’ai employé il y a deux jours le verbe subodorer avec le gars du fond, celui qui a un ti shirt Nirvana et un pantalon de jogging trois bandes, il m’a regardé comme si j’étais une martienne – d’ailleurs, je suis de plus en plus amenée à un boulot de traduction martien / français, et je commence à m’y habituer).
A bien le regarder, d’ailleurs, ce verbe, je me dis qu’il est quand même bizarre (l’aurait pas l’étymologie un poil bâtarde, celui-là aussi? – « Sous l’odeur » la plage ?)
Bon, je verrai ça une autre fois. J’arrête de digresser.

♣ C’est la pause entre deux cours. Je suis dans ma salle, les jeunes sont sortis dans le couloir, et je prête une attention flottante aux bouts de conversation que je capte.
– Tu viendrais pas chez moi samedi ? Y a Jules qui est revenu des States. Tu verrais, il est taille de trop swag !
– Non, je ne suis pas libre.
– Ah bon, qu’est-ce que tu fais ?
– Je joue à la console.
– Tu joues avec des potes ?
– Non, je joue tout seul.
J’ai reconnu la voix de P.
Je sais qu’il est un peu plus âgé que la moyenne des étudiants.
Il va avoir 27 ans dans un mois, je le vérifie sur le listing que j’ai par hasard sous les yeux. Je m’étonne, recompte. Oui, c’est ça, 27 ans.
Il y a quelques années, un sketch des Guignols avait popularisé le « j’peux pas, j’ai piscine ».
Mais le sport, le vrai, a depuis été remplacé par la wii, et je constate que maintenant, on dirait plutôt : « j’peux pas, j’ai console ».

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P. aussi est swag (je frime, parce que je suis allée chercher sur la toile ce que veut dire ce mot que je n’avais jamais entendu avant, et que même pas je vais partager avec vous ! Le parler djeuns, ça se mérite, non mais !)
Mais 27 ans, quand même, c’est pas un peu un âge périmé pour la console ? 
Ben non, j’en ai discuté avec eux, pour m’apercevoir que c’est le centre de leur vie à tous (du moins les spécimen mâles), mon échantillon allant jusqu’à 33 ans.
La console comme jeu, pourquoi pas… faut savoir rester jeune !

_origin_SWAG-12♣ Un autre jour, je passe une musique aux moyens.

Du jazz swing (la musique de leurs ancêtres – leurs ancêtres les gaulois ? – ouais, peut-être, enfin, on sait pas!).
Il faut vous dire qu’ils ont eu un cours d’histoire du jazz au premier semestre. Donc, ils baignent là-dedans comme des poissons dans l’eau.
Enfin, ils devraient, mais pour tout dire, le collègue qui leur délivre ce cours était un peu démoralisé au sortir de l’examen, par l’approximation de ce qui avait été compris et retenu. Il a fait une petite compilation des copies qu’il a lues (et il m’a autorisé à la publier ici).

Jugez vous-mêmes :
Avant 1917 (année de « fermetude » de « Port Saint-Louis du Rhône »), les « esclaves chantaient gaiement leur tristesse » et leur « liberté de penser librement » au « Congo square qui devient un port » à cette date. Après la « crise de 28 », les « orchestres de plusieurs musiciens » jouent « l’accompagnation » avec des « violent » et « ossi » des trompettistes comme « Dizzy Grilebsy » faisant preuve « d’animalité des souffles au vent », ce qui n’est pas sans rappeler un « procedet » du « ragtime, ce chant religieux » responsorial bien connu, « ce qu’on appelle des appelles ».

Bon, c’est pas totalement gagné ! Donc, je leur passe du jazz.
Là, je vois se dessiner un large sourire sur le visage de la fille au tutu.
– M’dame, elle est super, cette musique, ça me rappelle TROP Oggy et les Cafards !

Devant mon regard interrogatif, elle évoque avec enthousiasme un dessin animé de son enfance.
Mes enfants sont un peu plus vieux, et du coup, ma culture date : j’étais imbattable sur Goldorak (go !) ou Capitaine Flam (tu n’es pas de notre galaxiiiie, mais du fond de la nuiiiit), mais là, je cale. J’avoue mon ignorance.
Elle est toujours aussi gentille, et partageuse (elle trouve que l’éducation, c’est dans les deux sens, et elle a bien raison !) et elle veut me faire découvrir sa référence musicale. Elle dégaine son portable («attendez, j’ai la 4G, m’dame »), tapote, trouve le youTube qu’elle cherche, et fait écouter à tous le résultat.
Sa voisine (Pauline the best) écoute avec attention, mais s’écrie en plein milieu :
– Arghh, mais c’est pas la vraie version ! L’interprétation est nulle !
La fille au tutu ne s’attendait pas à ce coup en traître, elle est déconfite, elle rougit, bafouille que si, l’autre maintient que non.
Devant cette querelle esthétique inattendue, dans laquelle je ne peux apporter mon soutien à aucun des deux camps, je remercie pour la découverte (même dans une interprétation qui laisse à désirer) et je suggère qu’on revienne à la musique que je leur passais… l’épisode « cafardeux » est clos. J’ai du mal à ne pas sourire intérieurement.

C’est de plus en plus fréquent que les étudiants me citent des musiques de dessins animés, de pubs, des génériques télés, en association avec ce que je leur fais écouter.
Là où, il y a quelques années, les rapprochements étaient mozartiens, beethoveniens, schubertiens, là où les comparaisons mettaient en avant Ravel, Stravinski ou John Cage, j’ai droit maintenant, dans 95 pour cent des cas, à « ça me rappelle Star Wars (pour les plus vieux d’entre eux), ou Game of Thrones, Zelda, ou Final Fantasy ». Quand ce n’est pas La bicyclette excitée (Excitebike, pour les incultes).

Botticelli muppets (pas réussi à trouver le nom de l'artiste)

Botticelli / Muppets

On en est, il me semble, à la console comme ultime référent culturel. Et là, je me fais encore plus de cheveux que lorsque j’ai découvert l’existence du rock wagnérien.

♣ Dans la lignée de cette remarque, j’ai fait partie au mois de janvier du jury de l’épreuve instrumentale.
Les étudiants doivent jouer d’un instrument, et, si nous ne dispensons pas de cours d’instrument, nous testons chaque année leur degré de pratique.
Libre à eux de choisir l’oeuvre qu’ils veulent présenter, dans n’importe quel style. La seule contrainte est qu’outre nous la jouer, ils nous la présentent (sur un plan « musicologique », même flasque !), ainsi que les raisons de leur choix.
Depuis des années, au répertoire classique, jazz et parfois traditionnel se sont rajoutées, les publics évoluant, de plus en plus, des variantes de rock (metal, funk, noise et autre).
Cette année, j’ai eu la surprise de voir les « répertoires savants » réduits à peau de chagrin, et non seulement l’émergence de choix nouveaux, jamais entendus avant  – une épidémie d’extraits de musique de jeux vidéos – mais leur domination sur tout autre type de musique.
Les raisons invoquées étaient : « c’est joli et ça me rappelle trop la scène où le prince combat le méchant ».
La présentation « musicologique » était d’une flasquitude à l’assortie.

On a quand même réussi à savoir que les « effets sonores vidéoludiques », c’était le top. Et qu’ils n’avaient pas choisi du « screamo » (traduisez, une musique faite à base de hurlements), ce dont les jeunes se doutaient que ça pouvait déplaire à notre bande de racornis de la portugaise.
Sont trop gentils, ces jeunes…

Ça me rappelle que j’ai employé cette semaine, pour les besoins d’une explication, le terme « anachronique » : encéphalogramme plat en face. Personne n’avait l’air de comprendre ce mot compliqué. Un peu fatiguée à ce moment-là, j’ai donné un exemple : « La Joconde avec une montre, c’est anachronique ».
– Mais la Joconde a pas de montre, m’dame ! (encore Pauline)
– Ben, oui, justement…

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Bach

Ben pour tout vous dire, mon diagnostic est que mes oreilles ont viré total anachronique : j’ai remarqué que, quand j’entends Oggy et les Cafards, je pense à Count Basie.
Vous croyez que c’est grave, docteur ?

©Bleufushia

PS si quelqu’un possède la version originale de Oggy et les Cafards, merci de bien vouloir me la communiquer