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Elasto (ta) mère ! (39)

dürer

Dürer

J’ai pris une résolution : occuper désormais mon temps libre au développement de mes connaissances à propos de mes semblables.
Mais non, pas à propos de vous ! vous êtes bien trop modernes pour moi.

Tiens, ça me rappelle l’histoire d’un copain qui, à l’époque des frontières en Europe, s’était fait coincer par un douanier qui faisait du zèle et qui refusait de le laisser passer. Le copain avait épuisé tous les arguments possibles pour le convaincre, sans succès.
En dernier recours, il a eu une idée qui s’est avérée être géniale. Il a dit au douanier : « vous n’allez quand même pas me bloquer, vous, un contemporain ! ».
Le gars en a été tellement estomaqué, qu’il a ouvert la frontière aussitôt.

Mais pour le coup, vous et moi, même si on a l’air contemporains, rien ne prouve qu’on le soit VRAIMENT !
Jusque-là, je ne m’étais pas clairement rendue compte que j’étais hors circuit. Je me croyais encore jeune et belle, et terriblement « in », et comme, dans mon travail, je suis entourée de jeunesse, cela contribuait à me conférer un incroyable aveuglement.

Pourtant, l’âge qui avance grignote chaque jour un peu plus mes capacités.
Mais vous savez, ça vient insensiblement, et il faut souvent être arrivé au bout du processus pour en prendre conscience.
Comme dans Le rhinocéros, la pièce de Ionesco.
Les hommes commencent par avoir la voix rauque, une sensation d’enrouement, qu’ils prennent pour un rhume, avant de s’apercevoir qu’il ne s’agit pas de ça. Leur environnement se transforme peu à peu.

lavabo et glace jacques noel

Lavabo et glace (décor original de Jacques Noël)

Je pense souvent à cette pièce, dans mon travail, à propos des choses qui s’installent peu à peu, insidieusement, comme les modes de commandement totalitaires, qui génèrent des comportements de conformisme et d’aveuglement. Lorsque le totalitarisme est complètement installé, parce que personne n’y a cru, il est déjà trop tard.
Moi, à l’instar des personnages qui refusent de croire à l’existence de la « rhinocérite », je n’ai pas cru, pendant longtemps,  avoir attrapé la dinosaurite.
Sauf que la dinosaurite isole, contrairement à la rhinocérite, qui touche tout le monde, et, finalement réunit les gens – même dans une situation impossible.

Et maintenant, c’est à mon tour, ça me gagne. A l’aide de la glorieuse institution qui m’emploie.

Elle me renvoie avec insistance une image de moi comme appartenant à une catégorie un peu vague dont la seule chose qu’on puisse en dire est que la datation en est incertaine (parce que très lointaine) et les capacités amoindries et inutiles.

« L’humanisme est périmé ! Vous êtes une vieille sentimentale ridicule » (Ionesco)

J’ose penser – parce que tout être a besoin de consolation, et moi aussi – que je ne suis pas totalement seule de mon espèce (ce qui serait assez décourageant) et donc, je vais partir à la recherche des autres.

Il est patent que j’ai eu assez peu de fréquentations dinosauresques pour l’instant, et qu’il faut que ça change, et fissa !
Mon ambition secrète serait de créer, ensuite, une assoce.
J’ai déjà une idée de nom : on pourrait l’appeler AVC (pour : Association des Vieux Cacochymes).

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Fragment de décor d’un montage de la pièce Le Rhinocéros (E.Ionesco)

(Idée de bannière pour le futur site de l’AVC)

[Je fais une parenthèse : j’ai choisi ce mot cacochyme, à cause de « chyme » qui, écrit autrement, est musical. Du coup, avec ce nom, j’ai la sensation qu’il me resterait quelque chose de ma splendeur passée.]
En tout cas, j’ai l’intention de vous tenir au courant des progrès de ma recherche.

Les Périssoss

Je me suis d’abord intéressée aux Périssodactyles, parce qu’il faut bien commencer par quelque chose, et à cause de leur nom.
Je croyais naïvement qu’un Périsso allait bientôt périr (Morituri te salutant !), bien que l’idée qu’il ait seulement les doigts périssables me pose problème, je l’avoue ! Surtout que je suis pianiste, et que mes doigts me sont quand même précieux.
J’ai découvert après qu’il était bon que je ne l’aie dit à personne, parce que ça veut juste dire « qui a un nombre de doigts impairs » !

Genre cheval et rhinocéros… (encore les rhinocéros, comme quoi, y a pas de hasard !)
Et genre nous, aussi.
Vous me direz qu’on a d’autres caractéristiques, mais les autres aussi ! imaginez la plus noble conquête de l’homme à qui on ne causerait que de ses pieds, il serait sans doute grave vénère, et il aurait raison.

Cela dit, je suis un peu embêtée, parce que je ne sais pas si on considère chaque pied tout seul, ou bien la somme des deux… vous conviendrez que ce n’est pas pareil.
Le rhino en a trois à chaque pied, et, à moins qu’il ait trois pattes, ben, il est pair si on compte tout, non ?

J’adore, au passage, cette catégorie totalement bancale dont on exclue les éléphants (qui sont pourtant plus périssoss que ça tu meurs) et à laquelle on inclue les tapirs qui viennent foutre la merde dans la nomenclature, parce qu’ils possèdent trois doigts aux membres postérieurs et quatre aux antérieurs (mais, va savoir pourquoi, on ne leur en veut pas pour autant).
On les appelle aussi Imparidigités…. Vous avez lu « rigidité », comme moi ?
C’est un truc de lecture, ça : on survole un texte en lisant les mots qu’on connaît, et c’est seulement quand le sens est étrange qu’on est obligé de revenir en arrière et de lire vraiment ! Mais je m’égare…

Quoi qu’il en soit, je suis une quiche en étymologie !
Pourtant, mon honorable géniteur ne s’est pas gêné pour me seriner toute ma jeunesse (oui, j’ai été jeune un jour, on arrête de rigoler là-bas au fond) : « Apprends tes racines grecques et latines, c’est la base de tout ! »
Je me disais qu’il exagérait : de tout ? pas de ce qui était chouette, comme faire de la périssoire l’été, par exemple – sur laquelle, à l’évidence, je ne serais jamais montée si mes parents s’étaient interrogés sur l’origine du nom ! Maintenant, on appelle ça un paddle, comme ça, on ne risque plus rien !

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J’ai quand même essayé d’obéir, mais j’enterre vite mon lapin à ce genre de travail (ha ha ha, la contrepèterie de la mort qui tue et qu’on ne peut même pas faire avec le grec!).
Déjà, j’ai une fâcheuse tendance à contester l’étymologie. Qui veut me faire croire que « périsso » , pour dire la vérité, veut dire impair, et pas « pair »? impérisso semble nettement plus logique !

Je veux bien tenter de m’amender, cependant, en faisant un petit effort.
Par exemple, si Diceros (espèce éteinte depuis 2011) veut dire qui a « deux cornes », ben, Rhinocéros doit vouloir dire qui n’a « qu’une corne »… c’est ça, j’ai bon ?

C’est à cause de tout ça que je suis tombée sur l’Elasmotherium (particulièrement bien nommé) Inexpectatum (l’inattendu).

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Elasmotherium (celui-là est « sibirique »)

L’origine du mot Elasmotherium est limpid, quoique cosmopolite : ça vient du français « (h)élas » et de l’anglais « mozer » ! » avec – ium à la fin, pour faire trop latin…
La « h » vient plus tard dans l’écriture, à l’âge de fer.
Je crois me souvenir que cette phrase qu’on apprenait en latin : « tu quoque, mi fili ! », servait de réplique à « hélas, ma mère ! » On pourrait comprendre la réponse comme : « Tu en es un autre, mon fils ! », ce qui est, comme son nom l’indique, assez inattendu (et un peu irrévérencieux, à la réflexion).

Enfin, je n’en suis plus totalement sûre, je me fais des nœuds, mais c’était une histoire de toute façon très embrouillée, où la phrase aurait été dite en grec (hellas, c’est normal, peut-être ?), alors qu’on l’apprend en latin (donc, pourquoi pas en anglais, after all) et qu’il n’y avait même pas de fils dans l’histoire… bref, un authentique merdier, si vous voulez mon avis !
Enfin, ce qui est certain, c’est que c’est dérivé direct de ces phrases qu’on a tous apprises, comme « ciel mon mari ! » en est un autre exemple, toujours dans la famille.
Certains prétendent que la mère dont il est question était très souple, comme élastique… et que c’est de là que viendrait son nom. La traduction de ce terme latin est alors Elasto-mère.
Mais arrêtons de digresser et revenons à nos moutons (qui ne sont pas périssos)! Au bout du compte, le sens de son nom, on s’en tamponne le coquillard.

Plus grand qu’un éléphant – de 5 à 8 m de long -, avec des pattes faites pour le galop (il aurait été très rapide), son crâne supportait une corne énorme d’une hauteur allant peut-être jusqu’à deux mètres .
Il était assez joli, sauf si on l’imagine avec un nez rouge au bout de la corne.

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Mongogushi – Rhino clown


Il avait des mœurs assez « solidaires » (tous ensemble tous ensemble tous !!!), si on croit le récit d’un lettré voyageur arabe (Xème siècle), Ibn Fadlan, qui raconte comment il zigouillait les humains et épargnait d’autres périsso-machinchoses !

« Chaque fois qu’il voit un cavalier il s’approche et, si le cavalier a un cheval rapide, le cheval essaie éperdument de fuir ; si la bête les rejoint, elle fait tomber le cavalier de sa selle avec sa corne, le lance en air, et le frappe avec la pointe de la corne, et continue ainsi jusqu’à ce que mort s’ensuive. Mais elle ne frappe ni ne blesse le cheval de quelque façon que ce soit. »

Avoir des ancêtres lointains pourfendeurs d’hommes et justiciers, bien que je sois pacifiste dans l’âme, ne me déplaît pas (pour avoir souvent eu l’impulsion de répondre par une violence froide à la violence que les institutions modernes nous font subir).

J’apprends encore que cet animal était considéré comme une licorne géante.

Je comprends tout !

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J’ai soudain la voix assez rauque, je me sens enrouée.

J’écris dans mon calepin, pour ne pas oublier, qu’il faudra que je me concentre sur les cornes plus que sur les pieds la prochaine fois.

Je m’en vais prendre quelques granules d’éponge grillée*, peut-être que je vais me guérir à temps.

©Bleufushia

* Spongia Tosta