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RECAPITOULEÏCHEUN – accès par lien aux articles des « Echos d’une vie de prof » (40)

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Le travail accompli© Bleufushia

Comme je suis une quiche en informatique, je ne parviens pas à établir un menu déroulant. Du coup, si vous vous intéressez à mes « échos d’une vie de prof » (chronique qui a commencé en octobre 2014, et qui court sur deux années universitaires), il vous faudra une patience infinie pour arriver au premier.
Je vais résoudre la chose en feintant l’informatique. Voici une liste des articles publiés jusqu’ici (premier juin 2016).

En noir, ambiances de classes et portraits d’étudiants, regard d’une vieille schnock sur la jeunesse

En rouge, quelques considérations sur le système et l’enseignement

En rose, les états d’âme de Lili Ze prof (en rapport au système ci-dessus, essentiellement)

Bon, à la relecture, il est bien évident que tout cela s’entrecroise : une ambiance de classe décrite par moi, ça parle forcément du prof aussi… les étudiants ont un rapport avec le système, et les états d’âme de Lili aussi… mais on va faire simple, d’ac ?

En fait, si je me la joue genre bilan, je remarque que j’ai commencé à regarder autour de moi dans la classe, puis que j’ai commencé à être vraiment perturbée par l’environnement au-delà de ces murs-là, et que je finis sur des articles plus généraux sur le système et finalement, sur ses répercussions sur mon moral pourtant, antérieurement, d’acier.
En réalité, j’ai travaillé toute l’année 2014-2015. J’ai commencé cette chronique parce que, alors que depuis des années, je ressentais un certain malaise dans l’institution, ce malaise s’est aggravé soudain (avec la fusion des universités et le tout libéral triomphant), et j’ai éprouvé le besoin d’introduire la distance que les mots permettent, pour parvenir à supporter un peu mieux l’ensemble.
Lorsque j’ai commencé l’année universitaire 2015/2016 (la dernière pour moi), l’institution s’est mise à déraper plein pot et j’ai totalement craqué au bout d’un mois, pour cause de « conflit éthique » (a diagnostiqué la psychologue du travail que j’ai consultée). Travailler dans un lieu maintenant privé de sens et de valeurs dans lesquelles il me soit possible de me reconnaître m’est devenu insupportable. Du coup, bien qu’ayant été en contact régulier avec mes étudiants, et observant les choses d’un lieu qui n’est pas encore loin, mais plus totalement proche, je n’ai plus pu les chroniquer au quotidien. Et mes réflexions ont pris un tour plus auto-centré.

  1. Le prénom de Brahms https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/03/le-prenom-de-brahms/
  2. Tutu https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/04/tutu/
  3. Proche de la syncope https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/04/340/
  4. Instruments tous unis https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/04/instruments-tous-unis/
  5. Ma vie sur Mars https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/09/ma-vie-sur-mars/
  6. La vie des bêtes  https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/10/la-vie-des-betes/
  7. Fahrenheit 451 https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/15/fahrenheit-451-7/
  8. Délivrez-nous de la tentation https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/15/delivrez-nous-de-la-tentation-8/
  9. La liberté est à 150 mètres https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/20/la-liberte-est-a-150-metres/
  10. Les feux de l’amour https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/24/les-feux-de-lamour-10/
  11. Pon pon pon pon https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/26/pon-pon-pon-pon-11/

11bis. Du bon usage des verbes pronominaux https://bleufushia.wordpress.com/2014/11/08/du-bon-usage-des-verbes-pronominaux/

  1. Ho rotto la mia dentiera https://bleufushia.wordpress.com/2014/11/09/ho-rotto-la-mia-dentiera-12/
  2. On the road again again https://bleufushia.wordpress.com/2014/11/15/on-the-road-again-again-13/
  3. Ce Jésus, il me cloue https://bleufushia.wordpress.com/2014/11/23/ce-jesus-il-me-cloue-14/
  4. Statistiques molles https://bleufushia.wordpress.com/2014/12/06/statistiques-molles-15/
  5. Poussez mémé dans les orties https://bleufushia.wordpress.com/2014/12/13/faites-donc-glisser-meme-dans-les-orties-16/
  6. Les pires conditions matérielles sont excellentes https://bleufushia.wordpress.com/2014/12/14/les-pires-conditions-materielles-sont-excellentes-17/
  7. L’ombre d’un doute https://bleufushia.wordpress.com/2014/12/22/lombre-dun-doute-18/
  8. Petite fricassée de notes https://bleufushia.wordpress.com/2015/01/19/petite-fricassee-de-notes-19/
  9. Songe d’une nuit d’hiver https://bleufushia.wordpress.com/2015/01/23/songe-dune-nuit-dhiver-20/
  10. Décalage : le récit désabusé d’Ana Cro https://bleufushia.wordpress.com/2015/02/09/decalage-le-recit-desabuse-dana-cro-21/
  11. Faille spatio-temporelle https://bleufushia.wordpress.com/2015/02/15/faille-spatio-temporelle-22/
  12. Chuis swag, foutrement swag https://bleufushia.wordpress.com/2015/02/23/chuis-swag-foutrement-swag-23/
  13. Les MOOCs, c’est le FUN, mais c’est pas la joie https://bleufushia.wordpress.com/2015/03/03/les-moocs-cest-le-fun-mais-cest-pas-la-joie-24/
  14. De l’art d’accommoder les restes https://bleufushia.wordpress.com/2015/03/17/de-lart-daccommoder-les-restes-25/
  15. La vie des charançons n’est pas si monotone (un peu en dehors, où il est question de twitter) https://bleufushia.wordpress.com/2015/03/30/la-vie-des-charancons-nest-pas-si-monotone-26/
  16. Tutti frutto, tutto frutti https://bleufushia.wordpress.com/2015/05/09/tutti-frutto-tutto-frutti-27/
  17. Ping pong à Pyongyang https://bleufushia.wordpress.com/2015/06/14/ping-pong-a-pyongyang-28/
  1. E la nave va https://bleufushia.wordpress.com/2015/06/27/e-la-nave-va-29/
  2. Petit braquet https://bleufushia.wordpress.com/2015/06/27/e-la-nave-va-29/
  3. Kafka pas mort https://bleufushia.wordpress.com/2015/09/07/kafka-pas-mort-31/
  4. Nouvelles du front https://bleufushia.wordpress.com/2015/10/05/nouvelles-du-front-32/
  5. Mosart, Betoven et pas moi et moi et moi https://bleufushia.wordpress.com/2015/10/08/mosart-betoven-et-pas-moi-et-moi-et-moi-33/
  6. What a wonderful day https://bleufushia.wordpress.com/2015/10/21/what-a-wonderful-day-34/
  7. La théorie des climats (un peu en dehors : l’exposé de ladite théorie comme un élément de lecture de la violence) https://bleufushia.wordpress.com/2015/12/07/la-theorie-des-climats-35-2/
  8. Sérénitude absolue https://bleufushia.wordpress.com/2015/12/27/serenitude-absolue-36/
  9. Moi, j’m’en balance https://bleufushia.wordpress.com/2015/12/31/moi-jmen-balance-37/
  10. YOLO https://bleufushia.wordpress.com/2016/01/13/yolo-38/
  11. Elasto-ta-mère https://bleufushia.wordpress.com/2016/01/16/elasto-ta-mere/


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What a wonderful day ! (34)

L'or noir (photographie de Tom Rousselon)

L’or noir (photographie de Tom Rousselon)

Hier, je passais par la grande rue de ma ville.

Enchifrenée (bien que littéraire par nature).
Avec envie de ne voir personne, parce que je suis trop en bad quand chuis comme ça.
Mais c’est le seul itinéraire direct entre A (mon sweet home) et B (là ousque j’allais).
A cause du soleil, de la littérature, des idées qui se baladaient nonchalamment et tournaient dans l’air du matin comme des parfums, d’une association à une autre, je pensais à La valse jaune.

« Il y a du soleil dans la rue
Moi j’aime le soleil mais j’aime pas les gens 
Et je reste caché tout l’temps
A l’abri des volets d’acier noir » Lire la suite


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Nouvelles du front (32)

Affiche du film

Mes lunettes magiques (Affiche du film « The look of silence »)

Je n’ai pas écrit ici depuis la rentrée… la tête ailleurs, occupée que je suis à tenter de calmer ma colère et de trouver la juste réponse à une situation qui me paraît totalement indigne. A essayer de chausser les lunettes qui pourraient m’aider à voir la vie professionnelle en rose.

Après une première semaine sans étudiants, semaine au cours de laquelle, finalement, les collègues n’ont pas repeint les salles de cours, le chef s’est démené pour trouver, au sein de l’organigramme opaque des interlocuteurs responsables, quelqu’un qui l’écoute (ah, non, ce n’est pas monsieur Tartempion, mais monsieur Machin qu’il faut voir… ah bon, il est en congé ?… alors allez voir Chose…) : on lui finalement a promis la peinture des locaux.
Les autres collègues étaient très contents d’obtenir satisfaction, et ont commencé à envisager des éléments de déco pour égayer les murs la semaine suivante.
Lors de la « seconde rentrée », eh bien, tout était, bien sûr, en l’état, la même saleté, les mêmes murs écaillés, le même manque criant de conditions de sécurité minimum et de matériel. Lire la suite


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E la nave va (29)

Dalek Doctor Who

Dalek
Doctor Who

Je ne sais pas pourquoi, ces derniers temps, je pense beaucoup aux Daleks*.
Mais si, vous savez, les mutants de la planète Sarko (oups, pardon, mon doigt a fourché, c’est la planète Skaro !), dirigés par le Dalek Noir !
Si vous ne connaissez pas, c’est une espèce puissante, dont les sentiments et les émotions ont été effacées, et qui poursuit la domination universelle des Thals, des humains pacifiques qui tentent de survivre.

Enfin, quand je dis que je ne sais pas pourquoi, en fait, je sais parfaitement pour quoi j’y pense.
Parce que Sarko.
Parce que la domination.
Parce que les conditions proprement ahurissantes de cette fin d’année universitaire.

Alors, pourquoi les Daleks ?
Parce que toute ressemblance avec des situations existantes est totalement justifiée.
Si si, je vous assure.
Venez, j’entrouvre la porte, vous allez voir

Que je vous dépeigne rapidement le cadre
Le mal a commencé il y a longtemps, mais c’est clairement sous Sarko que ça a été le début de la fin.
C’est lui qui a créé l’université libérale, laissant derrière nous la dépouille du service public. Aidé et surpassé par le gouvernement actuel, qui en a rajouté une louche.

Sur le plan de l’organisation concrète, ça a mis un certain temps à s’organiser, mais depuis cette année, dans les lieux où je travaille, on y est jusqu’aux oreilles.

Ça fonctionne comme un rouleau compresseur, et je ne suis pas la seule à être écrasée. C’est tout bonnement insupportable.

Ça se manifeste de deux façons ici :
– Sur le plan matériel, mon université est actuellement en travaux.
Elle fait partie du Plan Campus, une largesse attribuée par Pécresse, au moment des luttes contre la mise en place de l’université-tout-libéral, aux universités qui avaient « collaboré » en étouffant la contestation**
Depuis plusieurs mois, on travaille avec des marteaux piqueurs, meuleuses, perceuses, tronçonneuses, grues et autres à trois mètres des fenêtres, dans des nuages de poussière, avec des ouvriers qui circulent partout (hier matin, pendant un examen, un ouvrier dans le couloir a psalmodié pendant deux minutes un « je suis perdu, je suis perdu… » saisissant, par-dessus les bruits mécaniques).
Dans la région où j’habite, il fait en ce moment régulièrement plus de trente degrés, et on doit fonctionner fenêtres fermées. Et je vous passe les toilettes hors d’usage, l’eau coupée, l’électricité indisponible…
Ca doit durer quatre ans.
Va-t-en te concentrer dans un environnement de ce genre !

dessin de Duris

dessin de Duris

Le service qui gère les travaux a un nom qui fait rire (la #DEPIL – là où la depil passe, la vie repousse-t-elle ?), mais je n’ai pas ri longtemps !
Comme les travaux attaquent un secteur après l’autre, on doit déménager : en ce qui me concerne, on nous a affecté des locaux beaucoup plus petits que ceux où l’on se trouve actuellement, dont une salle de cours assez intéressante, en forme de L, et dont l’accès se fait en traversant une autre salle de cours.
Chouette, non ? Je sens bien la façon dont ça va faciliter la compréhension…
Mais ça, encore, ce n’est que du matériel, et on peut espérer, du transitoire.

– Mais le pire, c’est la « gestion des ressources humaines », c’est-à-dire la façon dont on bouge les pions que nous sommes.
Le but d’une université libérale, c’est de marquer clairement que le service public est une notion totalement obsolète, mais aussi, de gagner du fric (et/ou de ne pas en dépenser pour les choses importantes qui en nécessiteraient), de permettre au Dalek Noir d’avoir tout pouvoir sur les pions (en supprimant, par exemple, toute instance intermédiaire, et tout ce qui serait susceptible de permettre à des voix discordantes de se faire entendre), et d’être reconnus comme les plus forts selon des critères à la noix.
En ouvrant le site de ma fac, pour chercher le sens exact du sigle #Depil, je suis tombée sur cette exhortation : « rejoignez la plus grande université francophone ».
[Il suffit d’être grand pour être bien, vous ne le saviez pas ?
A l’usage, il ne faut pas 5 minutes pour constater que plus c’est grand, plus c’est pire.
]
Ça me fait penser aux concours de bac à sable (excusez, j’ai toujours assez mauvais esprit, je vous le concède).

Comment on fait pour gagner du fric ?
Fastoche, la question ! On supprime du personnel, pardi ! (et tout ce qui crée du lien, par la même occasion).

Cette année, alors qu’il y avait un(e) secrétaire par département universitaire, on est passé au « guichet unique » : très peu de secrétaires pour tous.
Autant dire que si un enseignant ou un étudiant a un problème un tant soit peu pointu, il peut se brosser.
Les (très) rares secrétaires restants ont perdu une mission – pour leur alléger un peu la charge de boulot énorme qui leur est tombée sur le paletot – celle de l’organisation des examens.
A été alors mis au pilotage de la dite « organisation » un service (avec peu de personnel) pour gérer l’ensemble des examens : recueil des desiderata et besoins des enseignants, gestion des sujets, et surtout, gestion du planning et des salles.

Le boulot est clairement impossible. Malgré leur bonne volonté, les secrétaires bossant dans ce service sont soumises à un stress permanent : elles ne parviennent pas à répondre aux désiderata et aux besoins, elles ne peuvent pas proposer un calendrier valide, elles se font engueuler par tout le monde : le Dalek Noir et ses sbires, les enseignants, les étudiants, qui ont été jusqu’à faire paraître un article dans la presse pour dénoncer le bordel ambiant (excusez le mot « bordel », mais il n’y en a pas d’autres).
Par exemple, on leur impose une gestion informatisée des salles, qui les a conduit à remplir, par exemple, nos salles spécialisées avec des examens d’autres matières ayant peu d’effectifs, et à mettre nos examens qui nécessitent du matériel dans des salles dépourvues de ces matériels, situées sur d’autres campus…

Et puis, elles sont incapables d’assurer un quelconque service de proximité.
Si on a un problème, personne n’en est responsable (ou alors, une seule responsable totalement débordée et au bord permanent de la crise d’hystérie).

Nous, les profs, sommes totalement dépossédés de tout choix possible (le calendrier ne venant pas, par exemple, j’ai ignoré jusqu’à la dernière minute quels seraient mes jours de travail, et ce, pendant les deux mois qui viennent de s’écouler).

La loi d’autonomie des universités nous fixait d’ailleurs comme seule mission de « servir », nous privant de notre position de sujet pensant. Et nous en sommes là. Réduits à obéir, à nous adapter, à ne décider de rien…

liberte-expressionPar exemple, un fragment de ce que ça a donné, ce mois-ci, pour moi (vous imaginez que je ne suis pas la seule dans ce cas-là !):
Deux examens programmés à la même heure le même jour dans deux campus différents (dont un des deux dans une salle banalisée, alors que j’ai besoin d’un piano et de diffuser de la musique).
Un examen avec des étudiants à 8 h du matin, puis, le même jour, avec les mêmes étudiants, un examen à 16 h (entre les deux, pour eux comme pour moi, rien… et la salle libre – et des heures de marteau-piqueur en musique de fond, pour rien).

J’examine le planning, je propose une solution claire et concrète pour que ça soit mieux. On me propose un deuxième planning qui aggrave la chose (quatre examens simultanés).

Je signale les impossibilités, on me propose, en dernier recours, d’établir mon propre planning.
Je le fais.

La veille du premier jour de la session d’examen (à 22 h), les trois plannings sont diffusés aux étudiants, qui ne savent plus à quel saint se vouer (et moi non plus).

Le résultat de l’opération : des étudiants venant après les examens – ils ont choisi le mauvais planning – et demandant à juste titre qu’on les fasse passer à un autre moment.

Se superpose à ça un planning de co-surveillance imposée des épreuves des collègues (de nombreuses heures placées n’importe où dans l’emploi du temps, et les profs taillables et corvéables à merci), parce que l’administration décide de normes de sécurité pendant les examens seulement : nos salles ne pourraient pas excéder 20 étudiants. Pour une promo de 45 étudiants, ça nous donne trois salles, chacune surveillée par deux profs.
Bonjour l’usine à gaz.

Et ça, c’est côté prof ! Perte d’énergie, attentes, tergiversations, colères, impuissance, stupidité d’une machine broyeuse…

Pour les étudiants, une impossibilité pour certains (très nombreuses erreurs) à savoir leurs notes, et s’ils ont droit ou non au rattrapage, d’autres découvrant une heure avant que l’examen a changé de date et qu’il est… maintenant ! puis une fois en train de composer, se confronter au marteau piqueur ou autre engin bruyant.

Quant au personnel du service en question, au moment même où le sénat décide que le burn out n’est pas une maladie professionnelle, il en reste très peu en service : elles sont quasiment toutes en congé maladie, pour souffrance grave au travail.

Bref, la gestion libérale qui considère les individus comme des numéros, qui les accable de tâches infaisables, qui les humilie en les amenant à se penser comme incapables, leur pourrit la vie.

La loi du plus fort  Youssef Ghazouani

La loi du plus fort
Youssef Ghazouani

Tous mes examens ont commencé par une discussion avec les étudiants (provoquée par eux) sur la façon dont l’université se fout de nous, et d’eux.
Parfois, ils en rient, ils sont de bonne composition.
Mais ils s’étonnent malgré tout du n’importe quoi total de la situation, en le pensant transitoire.

Moi, je sais que ça ne l’est pas, et que nous sommes dans les griffes du monde libéral, navigant toujours vers le pire, malgré la langue de bois et la propagande qui essaient de nous faire penser qu’on s’avance vers un monde merveilleux.
La douceur du travail, la convivialité, les conditions de calme nécessaires au travail de tous, l’humanité, le respect des individus… autant de vieux rêves disparus.

Si on veut être compétitif, faut que ça soit invivable.
Et que les meilleurs parviennent à survivre et à s’accommoder de ça.

Un constat s’impose : je ne suis pas dans les meilleures.
Définitivement pas !
Et je m’en tape grave.

Mais l’impression perdure d’être – comme le disait un de mes étudiants – sur un bateau ivre.
Dans un sale cauchemar.

Ça m’a rappelé quelque chose : lors d’un cours de traduction, un ami, qui proposait à ses étudiants, pour désigner un bateau qui s’éloignait vers le large, l’expression « le bateau cinglait vers l’horizon », s’était heurté à une incompréhension totale.

Si les bateaux sont cinglés, maintenant, où va-t-on ?
Oui, où va-t-on ?

le-cri-parodie-munch-8

©Bleufushia
* création de la série britannique Doctor Who
** pour rappel :
https://bleufushia.wordpress.com/2014/12/13/faites-donc-glisser-meme-dans-les-orties-16/


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Ping pong à Pyongyang (28)

lunettes d'été (Mitsuru Katsumoto)

C’est bientôt l’été ! (lunettes d’été – Mitsuru Katsumoto)

(Ayant le cerveau vide et aucune idée de titre pour cet article, j’ai demandé à mon petit camarade une suggestion, que voilà, même s’il n’y sera question ni de ping pong – malgré le fait que l’enseignement soit un sport à part entière -, ni de Corée – qu’elle soit du nord ou du sud, à l’heure, pourtant, de la méchante épidémie de MERS qui porte un si joli nom).

Ouh la la, vous êtes déjà partis…

Non, please, restez ! Oubliez ce début calamiteux…

J’y vais, pour une des dernières chroniques de l’année de Lili Ze Prof.

L’année universitaire tire à sa fin.

Parfois, quand je suis fatiguée – ce qui est le cas -, le simple fait d’écrire une phrase comme celle-là me fait divaguer.

Est-ce qu’en septembre, on dira qu’elle « pousse à son début » ?

Ou alors qu’elle pointe (à l’instar du chômeur pétanqueur, qui pointe au lieu de tirer) ?

Je n’en sais rien, mais ce qui est certain, c’est qu’il n’y a aucun moyen de tirer au flanc, ou de tirer sa flemme quand elle tire à sa fin, et là, j’ai pourtant un intense besoin de vacances.

Mais vous l’auriez sûrement deviné, perspicaces que vous êtes, rien qu’à ce début d’article prometteur, certes, mais déjà, à ce stade, infiniment foutraque !

Que je vous dise : j’ai été ensevelie sous une avalanche de copies.

Pour ne pas sombrer, j’ai d’abord songé à utiliser cet ingénieux dispositif anti-neige (avalanche = neige : faut suivre, les loulous !), mais je me suis vite rendue compte que, pour me pencher sur ma table de travail, c’était tout sauf pratique.

Masque tempête de neige (1939 - Montréal)

Masque tempête de neige (1939 – Montréal)

La référence à l’avalanche, ça me rappelle soudain un épisode passé de la fac dans laquelle je gagne mon bel et bon argent : elle était, à ce moment-là, occupée par un collectif de lutte, lors d’une grève contre la funeste loi d’autonomie des universités.

Le doyen de l’époque – ne me faites pas dire ce que j’en pense, je vais devenir grossière – avait fait évacuer la fac en faisant intervenir trois bataillons de CRS (contre une cinquantaine d’étudiants et personnels qui dormaient – l’affaire se passait à 6 h du matin). Vous vous souvenez peut-être que, sur un campus, règne la « franchise universitaire » qui, depuis le moyen-âge, empêche les forces de l’ordre d’y pénétrer, sauf autorisation expresse du président (ou cas d’urgence absolue). Il a été rare que les présidents utilisent ce pouvoir, sauf ces dernières années, où ils ont souvent choisi cela comme mode opératoire principal, chiens verts qu’ils sont (désolée pour cette insulte injuste envers le vert canidé).

Dans mon université, l’affaire dont je vous parle était une grande (et sinistre) première, et la situation très calme ne l’imposait nullement.

A une question d’un enseignant s’opposant à cette descente violente, question où le collègue le prenait clairement à partie, le doyen de l’époque – à mon sens, un très sinistre individu, au demeurant à la tête d’un master sur la manipulation (ça ne s’invente pas !) – a répondu :

– Mais je n’ai pas fait intervenir les CRS, c’était des compagnies de secours en haute montagne ! Et le collègue de lui répondre que c’était sans doute pour nous dégager de l’avalanche des tracts… Mais je digresse, là !

Pour revenir à mon cas, j’ai fait plusieurs rêves, pendant cette période de corrections, dans lesquels il apparaissait que c’était plutôt l’idée de submersion, et de noyade, qui s’imposait à mon cerveau quand il était libre de chevaucher les vastes étendues des songes, réduisant alors la réalité à un « bredouillis »*.

J’ai immédiatement commandé et testé l’équipement suivant, que je vous recommande.

Gilets de sauvetage, en chambre à air de vélo (1925 - Allemagne)

Gilets de sauvetage, en chambre à air de vélo (1925 – Allemagne)

J’ai alors flotté à l’aise au-dessus des tas, mais mon problème était double : je survolais mes copies d’un peu haut ET j’avais par ailleurs la plus grande difficulté à me concentrer (avec un léger mal de tête du à la difficulté de la lecture de loin). Pour parvenir à mes fins (« tire »-t-on à ses fins ?…), j’ai finalement opté pour une invention fantastique, l’Isolator. C’est portable, individuel, seyant, efficace.

J’avoue que je suis emballée par cet appareil, sans réserve.

(Si vous ne connaissez pas, allez l’essayer au plus tôt).

The Isolator (Hugo Gernsback - 1920), dans Science et Invention magazine.

The Isolator (Hugo Gernsback – 1920), dans Science et Invention magazine.

Euh, enfin, emballée, mais en nage, parce qu’il faisait 30 degrés au moment du pic de boulot, et que le feutre, c’est moyennement de saison.

Pour l’hiver, en revanche, je pense que ça serait idéal pour les jeunes générations, adorables mais terriblement éparpillées de nature, pour arriver à profiter pleinement de leurs études tout en se réchauffant les neurones.

J’envisage, lorsque la rentrée poussera son début, de suggérer à l’administration l’étude du marché le plus avantageux pour ce produit.

Et je me vois déjà dans ma classe, évitant définitivement d’être confrontée à des garnements insoumis comme celui de droite… Le pied !

(euh, pardonnez ce détournement un peu grossier)

(euh, pardonnez ce détournement techniquement assez grossier)

Au cours de mes corrections, je me suis instruite un max : c’est ça qui est chouette, dans l’enseignement, c’est que ça circule dans les deux sens.

J’ai ainsi découvert

– un instrument inconnu, sans doute à percussion (« il tapait sur son jumbo »)

– « l’otographe », qui n’est demandé qu’aux gens célèbres parce qu’ils écrivent avec leur oreille

– « la crucification », qui est un truc un peu désolant qui est arrivé à un mec dont le nom m’échappe

– « le consansuce », qui, si j’ai bien compris, est un nouveau terme musical qui se passe d’explication (« j’entends dans cette musique un consansuce à la basse »)

– la « dévulgarisation » (ou l’art, sans doute, d’embrouiller et de compliquer)

– la « mixitude », cousine de la bravitude et autre…

– le « djent » (là, c’est du sérieux, les gens), qui est un sous-genre musical du heavy metal et dérivé du metal progressif, mot désignant une onomatopée produite par le son d’une guitare haute et saturée. En référence aux musiciens du groupe fondateur du djent, Meshuggah, qui peuvent être considérés comme les « intellos du métal »…ça vous en bouche un coin, ça, non ? ben, moi aussi !

– qu’il pouvait y avoir du synthé si c’est du « pagan » (le Pagan metal, autre branche du heavy : c’est du lourd, comme dirait l’autre !).

Ça aussi, vous faites les finauds, mais je suis certaine que vous ignoriez !

Aux écrits ont succédé les oraux. Il faisait beau, c’était déjà l’été : les looks des étudiants font dans le fashion, cheveux verts (trois filles, un gars), ongles bleu turquoise (deux garçons), coiffures « ananas » (rasé sur les bords, et une touffe nouée par un chouchou pour le sommet) pour la fraîcheur...

Parmi les oraux, des mini-séances d’enseignement. Une a été consacrée à la musique d’un jeu vidéo**.

Le « prof » fait entendre une musique, sans commentaire préalable. Demande à ses petits camarades ce que c’est.

V., une fille réservée qui parle peu, jaillit de sa chaise et répond, enthousiaste et précise :

– « C’est le début de la fin du dernier niveau de Lords of Shadow de Castelvania. »

Et elle développe, aidée par les deux autres filles du cours. Et par les gars.

A part moi, tout le monde baigne dans cet univers.

J’apprends que c’est un jeu vidéo (dont l’ami Wiki dit que c’est « une des séries les plus respectées » depuis 86 jusqu’à nos jours) – qui comprend de nombreux épisodes, dont je vais découvrir, au cours de cette séance, que V. comme les autres les connaissent par cœur, histoire et musique, et même détails, du genre, dates de parution, nom des dessinateurs, des musiciens, etc.

Comme je m’en étonne un peu, ils me racontent y jouer plusieurs heures par jour, pour certains (même si, pour d’autres, ils emploient un imparfait qu’on sent relatif à un passé très proche).

Je m’en doutais déjà, mais ça confirme.

Sinon, c’est l’heure des adieux (pour les troisièmes années qui s’en vont vivre leur vie ailleurs) et des déclarations qui font chaud au cœur (quand ils vous remercient, qu’ils pointent leur plaisir à vous avoir accompagnée quelque temps), ou qui émeuvent (quand je reconnais à haute voix que je vais regretter certains d’entre eux, et m’en souvenir avec un bon sourire).

Les « grands », comme je les appelle, ceux dont je m’occupais particulièrement, ceux qui veulent devenir profs, ont fait, chacun dans leur genre et avec leurs atouts personnels, une année excellente, dans laquelle ils ont réellement progressé. Si je m’interrogeais un peu en milieu d’année sur leur capacité à enseigner, ils me semblent, pour la plupart bien partis, avec une vraie réflexion sur ce qu’ils veulent incarner comme type d’adulte (entre autres).

Je pense aussi qu’ils sauront développer chez les enfants une culture (même si ça ne sera pas celle de ma génération, je suis moins pessimiste en cette fin d’année).

Ils ne l’attaqueront pas au désinfectant, la culture, contrairement à ceux qui luttent, non pas contre le théâtre, mais contre le MERS (de l’art de retomber maladroitement sur ses pieds, ça s’appelle ! cf l’intro ! – ok ! légèrement tiré par les cheveux, mais je trouve cette photo impressionnante).

Théâtre désinfecté à Séoul (juin 2015), contre l'épidémie de MERS

Théâtre désinfecté à Séoul (juin 2015), contre l’épidémie de MERS

Pélagie, en revanche, me semble toujours fragile !***

Ils m’ont avoué quelque chose que je voulais vous raconter. Ils se sont réunis pour des soirées tout au long de l’année, soirées où ils jouaient de la musique entre eux, y compris cette catégorie particulière qu’ils appellent « les musiques du cours ». Et…

– Celle qui a été notre tube, cette année, ça a été La java martienne. On adore tous cette chanson ».

Comme quoi, faut jamais désespérer !

Pour les autres (les « moyens », c’est-à-dire les étudiants de deuxième année), l’affection s’est manifestée par la confection d’un énorme gâteau collectif (pour la fin du cours) et par l’aveu, pour certains, qu’ils ont beaucoup « grandi » cette année grâce aux cours.

Pour certains autres (qui ne disent rien), j’ai la sensation d’un grand flop : nos routes intellectuelles ne se sont visiblement pas croisées, et je pense que j’ai raté certains de mes objectifs.

Un étudiant à qui je demandais, par mail, s’il avait réussi son année (un de ceux qui ont grandi), m’a répondu que oui, en terminant son message par ces deux lettres laconiques : GG.

Heureusement, internet m’a porté secours pour comprendre sa réponse. GG = « good game »

Pour ceux dont je parlais, ceux du flop, ceux avec qui « ça a fait pschitt » (comme disait l’autre), c’est sans doute (mais je ne sais pas si je peux l’employer) BG – bad game – en ce qui me concerne.

On ne peut pas gagner tout le temps. N’empêche ! Cela me peine.

Une dernière question me taraude. GG, ça se prononce gégé ? dgidgi ? guegue ?

©Bleufushia

* J’emprunte le « bredouillis de réalité » à Antoine Volodine, dans Terminus Radieux

** Session de rattrapage sur l’épisode précédent : https://bleufushia.wordpress.com/2015/02/09/decalage-le-recit-desabuse-dana-cro-21/

*** itou : https://bleufushia.wordpress.com/2015/01/23/songe-dune-nuit-dhiver-20/

**** re itou : https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/09/ma-vie-sur-mars/


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Chuis swag… foutrement swag (23)

sddefaultPetite chronique totalement fragmentaire, amusée et subjective du jeudi 19 février (Lili Ze Prof et ses démêlés avec les mots et leur sens)
(Pour ceux qui ont un peu de mal, j’ai mis un lexique à la fin de l’article, à la demande expresse de mon amie Hélène, pour qu’elle puisse me suivre dans mon exaltant quotidien)

♪ CA Y EST ! Me too !!!

Je suis au piano, dans la classe des débutants, et tout à coup, comme ça, j’intercale au milieu de ce que je suis en train de leur jouer une phrase musicale improvisée.

Un étudiant au premier rang apprécie, et sur le coup de la surprise, il me lance :

« ouaouh, m’dame, c’est super swag, ça ! »

Bon, je suis d’accord avec vous, il n’a pas dit que c’était MOI qui étais swag, il a juste parlé de la production (modeste au demeurant) de mes petits doigts velus, mais si maintenant on ne peut plus extrapolationner librement, je vous demande un peu où on vit, là ! hein ?

Mais voyez à quoi tiennent les choses : si je n’étais pas allée me renseigner sur le sens du mot swag il y a peu, je n’aurais même pas goûté ce compliment spontané.

Alors que là, je sens que je suis « encore plus swag que tout à l’heure », « et c’est bon ».

Je préfère ça à ce que j’entends juste après.

Ils ont eu la veille un cours sur Haydn, et le prof leur a montré un portrait du musicien.

Ils évoquent ça, en se bidonnant – je les ai entendus (c’était fait pour) et leur demande en quoi la binette de Haydn prête à rire.

– Ben, m’dame, on dirait le sosie du prof avec une perruque !

Bon, je viens de rentrer chez moi, et je vous dis que ce n’est pas vraiment flagrant !

♪ L’heure suivante, je suis en cours avec les grands : je passe dans les rangs, et je vérifie où ils en sont de l’exercice qu’ils font.

J’arrive à côté de J., un bon étudiant qui cache ses yeux gentiment moqueurs sous des dreads.

Avec lui, depuis l’an dernier, on plaisante, par petites touches rigolardes.

C’est léger, marrant : il aime bien s’amuser en travaillant et moi aussi. Souvent, il a l’initiative.

Là, j’émets une taquinerie à propos d’une légère incohérence dans ce qu’il a écrit : je sais qu’il est capable de corriger sans problème, et qu’il ne prendra pas mal ma plaisanterie bienveillante.

Il saisit ma remarque, et y réagit en direction de ses copains :

« oh, les mecs, la prof, elle m’a trotrollé ! »

« Trotroller » ? J’ai un petit moment d’inquiétude, puis j’identifie le verbe : »trop troller ». Je l’ai déjà croisé sur le net, dans le sens de celui qui crée une polémique pour semer une mauvaise ambiance.

Mais à la façon dont J. rit ouvertement, je me détends.

Tant qu’il n’a pas dit « trop flamé », tout baigne

Pfff, je sens qu’il faut que je vous aide (dans la rubrique : comment frimer à peu de frais avec Wikipedia !) : flamé, de « flaming ».

Wikipedia, au demeurant, est grandiose lorsqu’il définit le troll bénin – l’inverse du flaming, justement.

Je cite : « Le troll bénin est un troll tout ce qu’il y a de plus bénin ».

On est rassuré ! Si les trolls bénins se mettaient à être malins… je n’ose même pas y penser !

Mais enfin, heureusement qu’il est là. J. m’aurait accusé de le troller avant l’invention d’internet, j’aurais fait quoi, à part avoir l’air complètement gourde ?

Info-jouet-1998-troll♪ J’ai dix minutes avant le cours suivant, je vais prendre l’air jusqu’au hall. Le hall dont je vous ai déjà parlé : pour protéger des travaux, un placo a été monté, sur lequel les étudiants graffent, taguent, dessinent, s’expriment.

Ça a suscité pas mal de polémiques depuis qu’il est là, d’autant qu’il a été repeint aussitôt recouvert, et recouvert aussitôt repeint. Il y a les pour, les contre…

Les étudiants de musique ont été « regardés du doigt » (c’est un collègue en forme qui m’a dit ça comme ça) comme les responsables de tout ce qui était inscrit. Je passe devant le placo en question, au milieu d’un groupe de muzicos de première année. Ils sont en train de lire un message assez long (et d’une teneur à la clarté relative, mais rédigé en assez bon français).

Un de mes étudiants m’interpelle en riant :

– En tout cas, m’dame, ça, c’est sûr que c’est pas les zicos qui l’ont écrit !

Un de ses copains lui demande pourquoi il dit ça.

Il rit encore et dit : « fastoche à deviner ! nous, les zicos, on sait pas écrire aussi bien que ça ! »

Un autre de ses copains commente : « pas faux ! »

♪ L’heure d’après, j’ai la classe des moyens.

Je distribue une photocopie, et je ne sais comment, j’oublie C. lors de mon passage.

Il réclame sa feuille avec un air sur joué de victime (pour rire).

Je la lui donne en faisant remarquer qu’il a raison de protester si je fais preuve d’ostracisme à son égard. Il me regarde, interrogatif, et conclue l’affaire en disant que ce n’est rien, il sait bien que je ne suis pas raciste.

♪ Un peu plus tard, je passe une musique qui a l’air de leur plaire.

J’entends un commentaire, énoncé par un gars du deuxième rang, vêtu d’un débardeur qui laisse voir des tatouages nombreux (à propos, il faudrait que je fasse une étude un peu approfondie, mais je ne vous dis pas le nombre de jeunes tatoués, garçons et filles confondus : encore une tendance – pas totalement nouvelle certes, mais dont la généralisation presque totale me semble quand même assez récente). Sur sa tête, une crête verte au décoiffé savamment étudié.

– C’est Dallas, ça…

Je n’ai pas repéré s’il s’agit d’une affirmation ou d’une question.

Je m’en enquiers.

– Ben, franchement, ça tue, quoi !

Ah bon ! ok ! Tant mieux si tu aimes, mon gars. J’en suis contente.

♪ A nouveau les grands. Je félicite l’un d’eux, qui me demande :

– Alors, c’est pas veripourre ? (avec un accent provençal prononcé)

Je m’étonne un peu.

La classe me raconte alors qu’un de leurs profs a établi une échelle d’étoiles pour évaluer leurs productions. 5 étoiles, c’est « marvellous » (avé l’assent), 1 étoile, c’est « very poor », et les autres étoiles, c’est 2, 3 et 4, tout simplement.

Le système les amuse beaucoup (et moi avec). J’adopte !

♪ Un médiator marqué AC/DC a été abandonné sur une table.

Je demande aux guitaristes les plus proches s’ils ne savent pas à qui il est. A. me répond, expert, en examinant le petit bout de plastique :

– Je n’en sais rien, mais en tout cas, il est trop fin pour jouer du AC/DC : il est juste bon pour du Oasis.

F. rajoute :

– ah oui, LOL. A. a raison, m’dame, je plussoie !

Moi, je n’ai, tout simplement, pas d’avis sur la question.

La journée se termine. Je rentre chez moi, et passe devant un panneau publicitaire, à la nuit tombante.

IMG_2715Je me trouve personnellement assez peu de rayonnance après des heures de travail, encore moins de rayonescence. Je me demande un peu, dans un accès de légère parano, si ce n’est pas une attaque personnelle, pour souligner combien je suis trop « very poor ».

Mais non, me susurre une petite voix, t’es pas very poor, t’es super swag, remember !

Ah oui, ouf !

J’arrive chez moi, j’ouvre mon courrier.

Un récapitulatif des remboursements de ma mutuelle (ils feraient mieux de ne pas récapituler : je vois que je n’y comprends rien, à leur papier, sauf que les moins sont plus nombreux que les plus). Je parcours machinalement les lignes, et vois qu’on me rembourse une « dispensation ». Kézaco encore ce truc ? Je préfèrerais qu’on me rembourse mes médocs, simplement, comme avant, quoi… enfin, si j’ai le choix… non ? je ne l’ai pas ? bon, merci !

Je suis fatiguée, soudain, il me semble que je ne vais jamais arriver à rester à flot avec tous ces mots qui volent dans l’air du soir.

J’empoigne la dernière BD qui a eu le prix Fnac.

« Un océan d’amour ». 200 pages sans un gramme de texte.

C’est exactement ÇA qu’il me faut.

©Bleufushia

o-PRIX-BD-FNAC-2015-facebook
Pour ceux qui (comme moi) ont un peu de difficulté à s’y retrouver, voici un embryon de lexique – un peu à la louche

Avoir du swag : avoir du style (et les idées dérivées). Il remplace « être (trop) cool », « être « staïle » (je l’écris comme on le prononce).
Ce terme vient apparemment du rap (depuis 2008) et il est fréquemment utilisé par les moins de 25 ans et semble désormais si important qu’il devient l’objet de concours ! Sur youTube, les adolescents s’illustrent dans des centaines de vidéos où ils enseignent comment « avoir du swag ».

Troller : créer une polémique avec des messages provocants (se pratique sur les réseaux sociaux et sur les sites d’information, entre autres). C’est ouvertement de la pollution dont le but est de faire en sorte que tout le monde s’engueule.

En tout cas, cela vise à obtenir une réaction.
Par extension, tout ce qui peut faire enrager quelqu’un.
Cela peut avoir un sens plus léger, de private joke, ou de moquerie fraternelle.
Le flaming est une extension du troll, ouvertement très agressive (et donc, qualifié de troll malin).
Pour arrêter un troll, il faut « arrêter de le nourrir ».

Les Zicos : ben, les musicos, quoi !
Ceux qui pratiquent les musiques actuelles amplifiées sont généralement qualifiés de ziczac (ou des ziczaqueux).

Ostracisme : on sait pas. Sans doute un genre de racisme à l’ouest ? ou à l’os ? mystère et boule de gomme !

Ca tue : c’est super hyper trop bon !

AC/DC : un groupe de musique de hard rock, pionnier du heavy metal, du métal, quoi, un gros son avec de la guitare très distordue et de la batterie plein pot les manettes. Le volume sonore est maxi. Le ti shirt AC/DC est le plus porté parmi les zicos.

1000x1000Oasis : rock psychédélique, plus tranquille que le précédent.

Un médiator : c’est le petit bout de plastique en forme de goutte qui sert à faire chdoïng sur les cordes de guitare.

LOL, je plussoie : du langage djeuns d’ordi (encore que le LOL apparaisse de plus en plus in the real life). Traduction : qu’est-ce que je me marre alors ! t’as mis un like, j’en mets un aussi (un de plus !)

Dispensation : un soin qui t’est dispensé (genre par un dentiste) si j’ai bien tout pigé.

 


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Faille spatio-temporelle (22)

Lauren Conrad

Lauren Conrad

La saison douce amère des examens est passée, on a à nouveau le pied à l’étrier. Avec moins d’entrain. Ça recommence un peu mou, un coup de l’hiver, du froid, de la fatigue.

Les mêmes, mais dans des matières différentes.

Avec les « moyens » (je veux dire les étudiants de deuxième année) avec lesquels j’ai eu un peu de mal*, je démarre un nouveau cours – en option pour eux – la pédagogie.

Mon propos n’est pas de leur enseigner quoi que ce soit de précis de ce vaste sujet, mais de les amener à réfléchir et à faire des choix. Ils se destinent à exercer un métier dans une société dans laquelle le collège est un volcan, et le service public sinistré. On va leur demander de relayer l’idéologie dominante, et j’essaie de les amener à se positionner sur les questions philosophiques, politiques (au sens large), sociologiques et psychologiques qui détermineront la façon dont ils y répondront et se poseront en tant qu’adulte agissant, sujet réfléchissant et non servile.

Pour moi, un prof, c’est quelqu’un qui est d’abord capable de résister à un monde aux valeurs exclusivement marchandes pour en proposer d’autres, en se situant radicalement du côté de l’humain (enfin, je vous la fais à la louche). Pour ça, je ne fais pas cours à proprement parler, mais je leur propose des situations collectives (débats, dynamique de groupe, réflexion sur documents…) qui les amènent à reconsidérer leurs idées toutes faites sur la question, et à commencer à avancer sur leur propre chemin.

Autant dire que ce n’est pas totalement gagné d’avance. Jamais. Et cette année, je le sens mal. Mais je vais positiver comme une bête !

Et alors… ça va ?

Comme répondait un collègue à qui je posais cette question : « mieux friserait l’indécence ! »

Je vais au petit coin (riant endroit au sein de l’établissement d’excellence dans lequel je tente de professer – jamais de papier, sol humide et douteux, chasse au fonctionnement aléatoire… le quotidien d’une fac, quoi !) avant mon entrée dans la fosse aux lions (c’est une blague, ils ne sont pas féroces) et me prends à fixer un graffiti (franco-anglais ?) déposé par une main anonyme sur un des murs :

« Désoler de brisé ton rave idilique ».

Quelqu’un a barré « rave » et écrit « rève » à la place. Un puriste de la langue, sans doute.

Je médite à propos de ce qui a bien pu briser le mien, tout en remarquant l’emploi recherché du verbe. Dans ce lieu, c’est « péter ton rêve » qui serait d’ordinaire plutôt employé.

Allez, on se motive, on y va.

lagon des sirènes (Tokyo Disney Sea)

lagon des sirènes (Tokyo Disney Sea)

Ils sont 25 à avoir choisi l’option. Pas forcément 25 qui deviendront tous profs, mais en principe, 25 qui tendent vers ça. Parmi eux, Pauline the best, la fille des « feux de l’amour » et son bien-aimé Y « l’inoubliable », le garçon lymphatique qui aime Téfal (compositeur espagnol bien connu), P. le swag à la console, T., l’homme aux crayons Ikea, son copain M. et un autre de ses potes (celui du loto-suggestion), mais aussi d’autres que vous ne connaissez pas encore.

La fille au tutu a choisi une autre filière. Dommage, elle est quand même très gentille et enthousiaste. Elle en trouve toujours une pour m’étonner. Il en faut des comme ça**.

Je démarre par quelque chose qui est toujours très intéressant – pour eux et pour moi : un tour de table dans lequel je leur demande de raconter à tout le monde leur meilleur souvenir scolaire, et, dans un deuxième tour, leur pire souvenir.

Le bon souvenir est d’ordinaire une sortie scolaire, un prof gentil qui a marqué, une réussite au bac que l’on croyait louper. Cette année, pour la première fois, changement de ton.

Plusieurs racontent – avec des têtes à qui on donnerait le bon dieu sans confession – des actes délictueux qu’ils ont commis au collège ou au lycée (bouchage de serrure, destruction de matériel scolaire, dégradation de bâtiment) sans se faire prendre, et ça les amuse visiblement, comme une nécessaire vengeance impunie.

C’est assez étonnant : ces étudiants qui se destinent à devenir partie prenante de l’école et qui commencent leur parcours en expliquant combien ils ont aimé la démolir. Ça va changer la donne : avant les profs se recrutaient essentiellement parmi les bons élèves sages. Qui sait ce que cela peut modifier ?

Un autre, assez timide, très calme, se lance dans une histoire : en 4ème, il a eu une prof qui est partie à la retraite à la fin de l’année, il décrit rapidement la fête d’adieu, les cadeaux et raconte que l’enseignante, devant cette fête, s’est mise à pleurer, prise d’émotion. Et son bon souvenir est là, justement dans cette enseignante qui pleure.

La règle que j’ai donnée sur ce tour est qu’on ne commente pas ce que les gens choisissent de raconter.

Je m’autorise à la rompre : « en quoi est-ce un bon souvenir ? »

La réponse est immédiate : « parce que c’est la seule fois où j’ai eu la sensation d’avoir affaire à quelqu’un d’humain, puisqu’elle était capable de pleurer ».

Je n’ai pas le temps de me demander quelle conclusion tirer de son histoire que le deuxième tour commence, celui des mauvais souvenirs.

D’ordinaire, depuis des années, il s’agit d’injustices, de punitions, de profs maladroits ou sadiques.

Cette année, nouveau changement : la plupart des récits sont des récits de violence à l’école ; harcèlements, racket, humiliations, qui, pour certains, se sont échelonnés sur des années…

Nul doute que ces jeunes n’ont pas eu, en rien, une enfance semblable à la nôtre.

Une fois la classe prise en main par cette entrée en matière, qui permet aussi à chacun de prendre d’emblée une place dans le groupe (personnelle et chaleureuse – il y a des rires, de l’attention, des sourires, et certains s’expriment pour la première fois devant les autres), je fais un nouveau tour de table, précédé de quelques minutes de réflexion, en leur demandant de communiquer aux autres une ou deux questions qu’ils se sont toujours posées à propos d’éducation (ou de l’école, ou du métier de prof, ou…).

Cette façon de commencer me permet de les laisser choisir un premier sujet sur lesquels je vais rebondir pour faire émerger leurs représentations pour, ensuite, les faire travailler et réfléchir à la fois sur le sujet et sur l’idée qu’ils s’en font.

D’habitude, ça fuse : avec beaucoup de questions portant le plus souvent sur l’autorité (grosse angoisse du futur prof), le statut de prof, les méthodes…

Et là, pour moi, du jamais vu ! (c’est l’année des premières fois, ça a commencé comme ça et ça continue).

Sur 25 étudiants (et malgré mon insistance), 12 déclarent ne se poser aucune question.

– AUCUNE ?

J’en tombe des nues (pouf, toc, elle tombe, dirait Bobby Lapointe).

– Aucune ? je redemande avec plus de douceur.

– Aucune, niet niet cacahuettes, rien du tout, nichts, not at all, qu’ils me répondent.

– Mais vous comptez faire profs et vous ne vous demandez rien sur ce métier ?

– Non, rien de rien.

– Vous êtes certains de ne pas vous êtes trompés de filière ?

– Non, m’dame, on vous assure, on veut faire prof.

– Mais, mais (j’en bredouille), être prof, c’est se poser des questions, entre autres.

– Ben non, m’dame, un prof, ça « sait ».

648x415_illustration-pompiersJe lâche l’affaire pour le moment, et continue le tour, jusqu’à un qui a une question.

Ah, ouf ! C’est T. (sans ses crayons Ikéa, qu’il a rangés depuis ma précédente sortie).

– Moi, m’dame, j’ai entendu dire qu’on n’avait plus le droit d’utiliser des notes avec les enfants.

(Je ne sais pas si vous avez suivi l’affaire, mais le ministère de l’éduc nat a parlé de les supprimer avant de faire marche arrière. Je le précise).

– Non, m’dame, je ne parle pas de notes en chiffres, mais des notes de musique. Il paraît qu’on ne peut plus faire de solfège, si vous voulez.

Je le regarde : il est sérieux et assez véhément.

Je lui demande où il a vu ça, il me parle du dessin qui a circulé sur internet, montrant un prof de musique devant un tableau sans portée.

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– Mais c’était une blague, ça ! un détournement rigolo du projet de loi qui n’avait rien à voir avec la musique.

– Non, m’dame, c’était sérieux !

Trois autres viennent à sa rescousse, pour appuyer ses dires et me faire prendre conscience de ma légèreté.

J’ai toutes les peines du monde à leur expliquer qu’il y a beaucoup de choses qui circulent sur internet (à commencer par le site Gorafi, par exemple) et qu’il faut toujours se demander si c’est du lard ou du cochon, et passer les infos au crible de l’esprit critique (ou de la vérification). Je vois bien qu’ils me regardent d’un air un peu dubitatif.

L’un d’eux hasarde que, si c’est écrit sur le net, c’est vrai. J’assure avec toute la force de conviction dont je suis capable qu’aucun rond-de-cuir n’aura l’idée d’une atteinte pareille, et qu’ils peuvent avancer vers l’avenir d’un pas tranquille sur ce sujet-là.

Aïe, trop tard, j’ai dit « rond-de-cuir ».

Mais quelle nouille ! Va-t-en t’expliquer après un faux-pas de ce genre.

Je vois leur regard : un rond de cuir avec des idées, c’est quoi encore, ce truc à la noix ? trop chelou, la prof !

– autre question ?

– oui, moi ! pourquoi les profs ne font pas réussir tout le monde ?

S’ensuit un début de débat entre eux, un peu mou, aucun argument n’arrivant à l’emporter.

– vous m’dame, vous en pensez quoi ?

– eh bien moi, les zenfants, j’en pense qu’il y a des orientations générales qui échappent aux profs, et qu’on n’est pas là, en fait, pour faire réussir tout le monde.

– hein, quoi ?

– euh, vous ne voulez quand même pas dire qu’on est là pour faire échouer des élèves ?

– oui, c’est ce que j’ai dit, en quelque sorte : le prof ne décide pas, par exemple, que 80 pour cent des élèves auront le bac et donc, 20 pour cent, non.

Un murmure enfle dans la classe ! quand même, cette prof, elle a vraiment de drôles d’idées.

Ma crédibilité en a pris un sale coup sur le nez.

Un étudiant prend la parole pour me sauver. Elle a raison, la prof, on ne peut pas donner le bac à ceux qui sont trop mauvais en orthographe, par exemple.

Là, d’une petite voix douce, je signale qu’ils ne sont pas tous totalement au top de ce côté-là, ce qui ne les empêche pas d’être intelligents, ni d’avoir eu leur bac, ni d’être dans une fac de lettres (c’est la promo des cordes sans archers and so on, je vous rappelle).

Je rajoute que depuis des années, question orthographe, ce n’est pas leur faute, mais c’est un peu la Bérézina.

Regard glauque des foules ! la Bérézina, c’est quoi ce truc ?

On continue à discuter un peu. Dès que j’énonce quelque chose qui peut avoir l’air « négatif », ils ne me croient pas.En revanche, ils s’obstinent dans une vision du monde comme exclusivement beau et bon. Comme déclarait Will Self dans un entretien lu hier sur Télérama, il existe « plein de gens qui croient que le monde est tel qu’ils le perçoivent ». Mes étudiants me paraissent de ce bois-là.

leandro erlich

Leandro Erlich

J’ai peu à peu la sensation de quelque chose très étrange, comme si une paroi de verre invisible les séparait de la réalité du monde, et nous séparait aussi. Comme si, par moments, je leur servais un mauvais récit de science fiction totalement improbable.

Mais me vient à l’idée, devant leur unanime réaction, que c’est moi qui vit dans la SF : peut-être est-ce moi qui pense que le monde est tel que je le perçois. Ou alors, pendant ce cours, possiblement, la terre a dû bouger, une fente s’est ouverte, et j’y ai chuté.

Seule dans une autre dimension temporelle.

Au secours !

Le cours se termine. Étonnamment, ils paraissent plutôt contents de la séance.

Lorsque je sors, une cloison a été montée pour nous isoler partiellement des travaux du campus. Sur cette cloison a déjà fleuri un tag : Zad partout.

Zone À Défendre…

Oui… Faudrait savoir où et quoi exactement. (et si c’était moi, la zone en question ? l’inscription est quand même à 15 mètres de ma salle seulement)

 

©Bleufushia

©Bleufushia

©Bleufushia

*cf. https://bleufushia.wordpress.com/2014/12/22/lombre-dun-doute-18/

** si vous ne les connaissez pas, c’est que vous avez loupé les épisodes précédents ! vous pouvez encore vous rattraper !


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Décal’âge – le récit désabusé d’Ana Cro (21)

Tutti-Frutti-Girls cristina otero-

Tutti frutti girl (Cristina Otero)

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais on est rarement de la même génération que ceux qui ont 40 ans de moins que vous.
C’est une conclusion qui fait son chemin petit à petit dans ma caboche, à observer le microcosme qui évolue sous mes yeux dans le cadre de mon boulot.
Évidemment, vu de mon bout de lorgnette de vieille croûtonne, j’ai tendance à penser que c’était (souvent) mieux avant, et qu’on n’est définitivement pas sérieux quand on a 17 ans.
Mais en fait, ce n’est pas réellement ça la question : c’est plutôt que c’était différent, et plus simple autrefois.
Si je prends la musique, ben, d’un côté, il y avait les musiques savantes, de l’autre, les musiques populaires chics (avec différentes sous-catégories).
Puis se sont rajoutées des variantes, style rock / pop.

Là, on suivait encore fastoche.
Ensuite est venue l’ère des mixités improbables, des branches mutantes… et ça a commencé à devenir sacrément compliqué (quand on a un travail de transmission et d’éducation à faire dans ce domaine-là, j’entends) : entre le rock choucroute (Krautrock) et le Death rock, le post hardcore et le gipsy punk, et j’en passe, y a de quoi se faire des cheveux.
Maintenant, c’est, de plus en plus, un gigantesque méli-mélo, une salade de fruits (jolie jolie jolie), un tutti frutti intégral, dans lequel me semble percer cependant une tendance nouvelle qui éclipse en partie les autres (et me laisse, au passage, un peu pantoise).
Mais à bien y regarder, peut-être que ça a un rapport avec le « nintendocore » … et que, simplement, je ne l’avais pas vu venir.

Mais que je vous narre quelques instants volés au quotidien, pour que vous compreniez ce dont je subodore l’avènement (j’ai employé il y a deux jours le verbe subodorer avec le gars du fond, celui qui a un ti shirt Nirvana et un pantalon de jogging trois bandes, il m’a regardé comme si j’étais une martienne – d’ailleurs, je suis de plus en plus amenée à un boulot de traduction martien / français, et je commence à m’y habituer).
A bien le regarder, d’ailleurs, ce verbe, je me dis qu’il est quand même bizarre (l’aurait pas l’étymologie un poil bâtarde, celui-là aussi? – « Sous l’odeur » la plage ?)
Bon, je verrai ça une autre fois. J’arrête de digresser.

♣ C’est la pause entre deux cours. Je suis dans ma salle, les jeunes sont sortis dans le couloir, et je prête une attention flottante aux bouts de conversation que je capte.
– Tu viendrais pas chez moi samedi ? Y a Jules qui est revenu des States. Tu verrais, il est taille de trop swag !
– Non, je ne suis pas libre.
– Ah bon, qu’est-ce que tu fais ?
– Je joue à la console.
– Tu joues avec des potes ?
– Non, je joue tout seul.
J’ai reconnu la voix de P.
Je sais qu’il est un peu plus âgé que la moyenne des étudiants.
Il va avoir 27 ans dans un mois, je le vérifie sur le listing que j’ai par hasard sous les yeux. Je m’étonne, recompte. Oui, c’est ça, 27 ans.
Il y a quelques années, un sketch des Guignols avait popularisé le « j’peux pas, j’ai piscine ».
Mais le sport, le vrai, a depuis été remplacé par la wii, et je constate que maintenant, on dirait plutôt : « j’peux pas, j’ai console ».

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P. aussi est swag (je frime, parce que je suis allée chercher sur la toile ce que veut dire ce mot que je n’avais jamais entendu avant, et que même pas je vais partager avec vous ! Le parler djeuns, ça se mérite, non mais !)
Mais 27 ans, quand même, c’est pas un peu un âge périmé pour la console ? 
Ben non, j’en ai discuté avec eux, pour m’apercevoir que c’est le centre de leur vie à tous (du moins les spécimen mâles), mon échantillon allant jusqu’à 33 ans.
La console comme jeu, pourquoi pas… faut savoir rester jeune !

_origin_SWAG-12♣ Un autre jour, je passe une musique aux moyens.

Du jazz swing (la musique de leurs ancêtres – leurs ancêtres les gaulois ? – ouais, peut-être, enfin, on sait pas!).
Il faut vous dire qu’ils ont eu un cours d’histoire du jazz au premier semestre. Donc, ils baignent là-dedans comme des poissons dans l’eau.
Enfin, ils devraient, mais pour tout dire, le collègue qui leur délivre ce cours était un peu démoralisé au sortir de l’examen, par l’approximation de ce qui avait été compris et retenu. Il a fait une petite compilation des copies qu’il a lues (et il m’a autorisé à la publier ici).

Jugez vous-mêmes :
Avant 1917 (année de « fermetude » de « Port Saint-Louis du Rhône »), les « esclaves chantaient gaiement leur tristesse » et leur « liberté de penser librement » au « Congo square qui devient un port » à cette date. Après la « crise de 28 », les « orchestres de plusieurs musiciens » jouent « l’accompagnation » avec des « violent » et « ossi » des trompettistes comme « Dizzy Grilebsy » faisant preuve « d’animalité des souffles au vent », ce qui n’est pas sans rappeler un « procedet » du « ragtime, ce chant religieux » responsorial bien connu, « ce qu’on appelle des appelles ».

Bon, c’est pas totalement gagné ! Donc, je leur passe du jazz.
Là, je vois se dessiner un large sourire sur le visage de la fille au tutu.
– M’dame, elle est super, cette musique, ça me rappelle TROP Oggy et les Cafards !

Devant mon regard interrogatif, elle évoque avec enthousiasme un dessin animé de son enfance.
Mes enfants sont un peu plus vieux, et du coup, ma culture date : j’étais imbattable sur Goldorak (go !) ou Capitaine Flam (tu n’es pas de notre galaxiiiie, mais du fond de la nuiiiit), mais là, je cale. J’avoue mon ignorance.
Elle est toujours aussi gentille, et partageuse (elle trouve que l’éducation, c’est dans les deux sens, et elle a bien raison !) et elle veut me faire découvrir sa référence musicale. Elle dégaine son portable («attendez, j’ai la 4G, m’dame »), tapote, trouve le youTube qu’elle cherche, et fait écouter à tous le résultat.
Sa voisine (Pauline the best) écoute avec attention, mais s’écrie en plein milieu :
– Arghh, mais c’est pas la vraie version ! L’interprétation est nulle !
La fille au tutu ne s’attendait pas à ce coup en traître, elle est déconfite, elle rougit, bafouille que si, l’autre maintient que non.
Devant cette querelle esthétique inattendue, dans laquelle je ne peux apporter mon soutien à aucun des deux camps, je remercie pour la découverte (même dans une interprétation qui laisse à désirer) et je suggère qu’on revienne à la musique que je leur passais… l’épisode « cafardeux » est clos. J’ai du mal à ne pas sourire intérieurement.

C’est de plus en plus fréquent que les étudiants me citent des musiques de dessins animés, de pubs, des génériques télés, en association avec ce que je leur fais écouter.
Là où, il y a quelques années, les rapprochements étaient mozartiens, beethoveniens, schubertiens, là où les comparaisons mettaient en avant Ravel, Stravinski ou John Cage, j’ai droit maintenant, dans 95 pour cent des cas, à « ça me rappelle Star Wars (pour les plus vieux d’entre eux), ou Game of Thrones, Zelda, ou Final Fantasy ». Quand ce n’est pas La bicyclette excitée (Excitebike, pour les incultes).

Botticelli muppets (pas réussi à trouver le nom de l'artiste)

Botticelli / Muppets

On en est, il me semble, à la console comme ultime référent culturel. Et là, je me fais encore plus de cheveux que lorsque j’ai découvert l’existence du rock wagnérien.

♣ Dans la lignée de cette remarque, j’ai fait partie au mois de janvier du jury de l’épreuve instrumentale.
Les étudiants doivent jouer d’un instrument, et, si nous ne dispensons pas de cours d’instrument, nous testons chaque année leur degré de pratique.
Libre à eux de choisir l’oeuvre qu’ils veulent présenter, dans n’importe quel style. La seule contrainte est qu’outre nous la jouer, ils nous la présentent (sur un plan « musicologique », même flasque !), ainsi que les raisons de leur choix.
Depuis des années, au répertoire classique, jazz et parfois traditionnel se sont rajoutées, les publics évoluant, de plus en plus, des variantes de rock (metal, funk, noise et autre).
Cette année, j’ai eu la surprise de voir les « répertoires savants » réduits à peau de chagrin, et non seulement l’émergence de choix nouveaux, jamais entendus avant  – une épidémie d’extraits de musique de jeux vidéos – mais leur domination sur tout autre type de musique.
Les raisons invoquées étaient : « c’est joli et ça me rappelle trop la scène où le prince combat le méchant ».
La présentation « musicologique » était d’une flasquitude à l’assortie.

On a quand même réussi à savoir que les « effets sonores vidéoludiques », c’était le top. Et qu’ils n’avaient pas choisi du « screamo » (traduisez, une musique faite à base de hurlements), ce dont les jeunes se doutaient que ça pouvait déplaire à notre bande de racornis de la portugaise.
Sont trop gentils, ces jeunes…

Ça me rappelle que j’ai employé cette semaine, pour les besoins d’une explication, le terme « anachronique » : encéphalogramme plat en face. Personne n’avait l’air de comprendre ce mot compliqué. Un peu fatiguée à ce moment-là, j’ai donné un exemple : « La Joconde avec une montre, c’est anachronique ».
– Mais la Joconde a pas de montre, m’dame ! (encore Pauline)
– Ben, oui, justement…

bach_shades

Bach

Ben pour tout vous dire, mon diagnostic est que mes oreilles ont viré total anachronique : j’ai remarqué que, quand j’entends Oggy et les Cafards, je pense à Count Basie.
Vous croyez que c’est grave, docteur ?

©Bleufushia

PS si quelqu’un possède la version originale de Oggy et les Cafards, merci de bien vouloir me la communiquer


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Songe d’une nuit d’hiver (20)

Kenojuak Asjevak (artiste inuit)

Kenojuak Asjevak (artiste inuit)

Hier soir, avant de me coucher, j’ai corrigé le dossier de Pélagie.
C’est une de mes étudiantes. Je ne vous en ai pas encore parlé.
Bien sûr, elle ne s’appelle pas Pélagie, mais « J’peux pourtant pas l’appeler Hortense / Et puis ça n’a pas d’importance*».

Le dossier en question est un travail d’élaboration d’un projet pédagogique original  (avec réflexion préalable, analyse de documentation, exposé de stratégies, choix de démarche, de contenu…) ; bref, c’est du lourd, et ça demande de cogiter beaucoup et bien. Le sujet du dossier, c’est l’écoute de la musique : quel auditeur veut-on former, pourquoi, comment on peut s’y prendre avec des ados – qui posent, à ce sujet, des problèmes que ne poseraient pas forcément d’autres tranches d’âge, comment peut-on subodorer qu’ils écoutent quand ils sont libres de le faire, et à partir de là, par quelle feinte peut-on espérer franchir la barrière étanche qu’ils érigent entre LEUR musique et les autres ?.
Le travail de Pélagie, lui, est totalement hors sujet (elle raconte des exemples de profs qui ont réussi à lui faire écouter quelque chose en classe, alors qu’elle ne parvenait jamais à se concentrer – pas de la musique, mais simplement eux – et se limite à cela) et il est écrit dans un français fort difficile (syntaxe défectueuse, orthographe calamiteuse – du style : «…ce que vous leurs avaient apprit »).

La réflexion y est à la fois enfantine, pleine de bons sentiments et extrêmement naïve. Mais surtout, à côté de la plaque, complètement !
Pourtant, je sais qu’elle a à cœur de faire de son mieux. Elle a des qualités, par ailleurs, elle est persévérante, toujours souriante et de bonne humeur, sérieuse, appliquée, volontaire, pas découragée par ses erreurs, extrêmement gentille et polie.
Mais comme elle le dit elle-même : « Je préfère les mises en pratique que de faire des cours théorique car je décroche sur les chosent niveau concentration » (nb. Les fautes, c’est elle, pas moi !).
Manque de bol, un dossier de réflexion, c’est un poil théorique, et là, ça devient tout de suite ardu de chez balaise, grave dur, quoi.
Ma lecture s’est faite entre fou-rire et consternation : il y a des perles à chaque paragraphe.

Dans le dossier, elle choisit de se remémorer son enfance, et les chansons qu’elle a apprises petite.
Comme « Trois esquimos autour d’un bras zéro… », par exemple.

IMG_2885Pélagie est du genre à ne pas se questionner outre mesure et le bras zéro l’a visiblement laissée imperturbable… Elle précise un peu plus loin qu’elle n’a jamais rien compris à cette chanson, mais que ça la fait rire.
Perso, moi, ça me donne à réfléchir : un bras zéro, est-ce une double métonymie (« le bras » représentant à la fois l’homme et les deux bras – comme dans les soldes : deux pour le prix d’un ?) ? Et est-ce bien d’un homme qu’il s’agit ?
Oui, mais, pourriez-vous m’opposer, si c’était un ours dont les eskimos achevaient la dégustation, on nous parlerait d’une patte. Bien vu !
Et comment s’est-il transformé en néant, ce bras ? Et pourquoi, pourquoi ne nous a-t-on rien dit ? hein ?
Et les trois eskimos, à part être « autour », franchement, qu’est-ce qu’ils fichent là ?
Cette histoire, nous dit la chanson, se passe en « Alaska, watchi wat-chi wawa », qui n’est pas le pays des manchots à ce que je sache (ni des chihuahuas ?).
Le mystère reste entier, épais, vierge, à défricher (ou déchiffrer ?).
Peut-être un jour écrirai-je un polar pour résoudre l’affaire. Quand je serai à la retraite, par exemple.

Un peu plus loin, j’ai appris que lorsqu’un enfant chante, « la justesse n’est pas toujours fausse ».
Et là, je vous demande que faire : si la justesse se met régulièrement à être fausse (si elle n’est pas « toujours » fausse, c’est qu’il lui arrive de l’être, vous êtes d’accord avec moi ?), comment s’y retrouver ?
A une époque où, tout d’un coup, l’objet de l’éducation devient d’inculquer des valeurs à tout prix (avec un peu d’efficacité, messieurs et mesdames les enseignants, et qu’ça saute !), comment faire si tout se met à lentement glisser « par rapport au dispositionnement de d’habitude ». Imaginons un « bien qui ne serait pas toujours mal », par exemple. Avouez que ça file vite le vertige !

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Cette nuit, après cela, j’ai rêvé de Pélagie.
Que je vous dise, je l’appelle ainsi en secret, parce qu’elle a de longs cheveux, une silhouette à la démarche fluide, de très grandes jambes qu’elle est loin de cacher, que je sais qu’elle est née près de la mer, et que ses yeux me rappellent les yeux aperçus dans une mosaïque d’une sculpteuse grecque qui porte justement ce prénom : Pelagia Angelopoulou. Et aussi parce qu’elle écrit toujours « thon, demi-thon et barython ».

Pelagia Angelopoulou (Demeter)

Pelagia Angelopoulou (Demeter)

Plus personne ne s’appelle Pélagie de nos jours. Chez nous du moins. Faut dire que c’était le surnom de Vénus, et ce n’est pas franchement facile à porter.
Dans mon rêve, elle jaillissait de l’écume, et elle débarquait directos sur la banquise. Les eskimos l’accueillaient en chantant (justement faux, ou faussement juste, je ne parvenais pas à le savoir). Le bras zéro avait disparu et il faisait froid. Normal, c’est quand même la banquise. Elle frissonnait. Je lui demandais comment elle allait se dispositionner maintenant. Devant cette question, elle replongeait en silence dans l’eau glacée. Je voyais sa chevelure flotter dans l’eau, et peut-être à cause de ça, j’ai eu l’image d’une vellèle, vous savez, ce drôle d’organisme marin, très beau, qui fait partie de ce que l’on appelle la « flotte bleue » (c’est à cause de ça que je connais son existence), formé d’une coquille plate et d’une voile. Et l’impression qu’elle se laissait dériver.

640px-Velella_Bae_an_AnaonEn repensant à elle au réveil, j’ai eu besoin de vérifier ce à quoi correspondait exactement l’adjectif pélagique – que j’associais à « haute mer », sans que cela soit plus précis dans ma tête, et j’avoue que j’ai eu des surprises.
Le pélagos (à ne pas confondre avec la « pelle du gosse »**) est formé du necton et du plancton.
Ah, ça vous en bouche une superficie !
Vous allez tout de suite vous demander si le thon est du necton ?

La réponse est oui, le necton, c’est ce qui est capable de nager et de se déplacer. Le plancton, c’est tout le reste.
Au passage, moi qui entretiens une vieille et coriace inimitié avec les méduses (ne me dites pas que c’est beau ou je hurle !), j’étais secrètement ravie, avec un ricanement intérieur de mépris, qu’elles n’appartiennent qu’au plancton. Et chtoc !

Je me demande si Pélagie saurait écrire plancton, sans le confondre avec le planton, et sans rajouter de « h »… sur le dernier élément, je crois que oui, parce que le « thon », c’est bien connu (de Pélagie, mais aussi d’autres), c’est en musique, quand même, pas dans le domaine maritime ! Pas confondre, siouplaît !
Tiens, à propos, vous saviez qu’on appelle aussi planton (de coupée) un matelot mis à la disposition des visiteurs lorsque la visite à bord est autorisée.
Comme quoi le planton peut voisiner le plancton, tranquillou et en bonne intelligence.
Sur ce, je vous abandonne, j’ai encore quelques dossiers à corriger.

Il fait froid, je  songe à allumer mon brasero !

©Bleufushia

Rajout à mon post : une collègue bien aimée (merci, Elena) réagissant à la lecture de mon songe, m’a transmis une contribution, une « missive de Pélagie », que je ne résiste pas à vous communiquer ici.

« Pour l’écoute au sens propre, vous me conseillez d’ acheter des co-thons tige, madame? Merci. Pélagie »

* extrait de « Bobo Léon » de Bobby Lapointe
** merci, Pierre


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Petite fricassée de notes (19)

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Petit montage moqueur du jour (après le turc tel qu’on le parle – pour ceux qui suivent -, la musicologie en direct live !) ©Bleufushia

– Vous qui avez entendu ce qu’ils en disent, racontez ! Qu’avez-vous compris ?

– C’est une affaire un peu obscure. Je vais essayer de vous raconter.

Pour le cadre, l’histoire semble se dérouler à la montagne.

L’ambiance, un peu bizarre, conduit à se demander s’il s’agit d’un lieu de sorcellerie ou de l’endroit rêvé pour un « compte de fée » ? Nul ne le sait.

Cela semble se passer lors d’une fête. Il y a du monde et de l’agitation.

La « populasse » se livre à un « ballet de danse » (qu’il est bon qu’un ballet soit dansé, finalement…), dans un lieu particulier, à côté du « Lac des Signes » (c’est cela qui me fait penser à la sorcellerie), sur un air « lansinan » qui met les gens en « trans ». Lorsque le rythme « se ressert » (et une petite bouchée, pour maman), l’« exacerbération des foules est épic » (et pic et colegram).

Ceux qui m’en ont parlé m’ont signalé que le morceau était tout de même assez étrange. Ils l’ont défini comme une musique « mensuraliste », composée de « parties distinguées » – pas comme dans le cochon, j’imagine, où l’on croise des morceaux de choix, nobles, au côté de pièces plus vulgaires -, d’un « chœur parfois mutique » dont « l’ambitus, cependant, explose ». Lorsqu’il n’est pas mutique, les voix y sont « crémeuses ».

Comment, vous trouvez étrange de comparer de la musique à un cochon ? C’est simplement que dans la musique aussi, tout est bon !

En tout cas, « tanto » la musique est « sollanel », « tanto » elle est très « exprème », « tanto », encore, elle est « saccadée de nuances ». Dans tous les cas, elle semble à « contrenploit ».

Il y a de la trompette, mais les gens sont formels, il ne s’agit nullement du célèbre morceau « Trompétunia », dont la version « réorchestrée pour piano » est cependant connue de tous. Non, là, c’est vraiment autre chose.

– Bon, à part cette musique bizarre, tout semble quand même assez simple : une fête populaire à la montagne. Quoi d’autre ? Avez-vous glané d’autres détails ?

– C’est, en fait, à partir de là que les choses se compliquent. Il est question « d’archers » – peut-être, en plus d’être un bal, c’est aussi l’occasion d’une compétition de tir à l’arc, mais la météo semble hélas peu favorable.

– Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

– Quelqu’un m’a dit que « les cordes se placent en retrait par rapport au vent ». Pour ne pas, sans doute, que le vent infléchisse la course imparable de la flèche vers le but.

Un autre m’a parlé de « cordes sans archer », comme si les arcs volaient tout seuls, de façon autonome.

– Etrange phénomène, en effet. Et ces archers, que pouvez-vous m’en dire ?

– Eh bien, ils semblent tous avoir des problèmes de cœur, j’ignore s’ils sont cardiaques ou froids comme des pierres, question sentiments.

J’ai entendu dire que le « cœur des hommes », par moments, « était laissé de côté » pour cause d’interruption due au « vent », ou encore, il a été fait mention de « cœur mixte », accompagné de « cordes sans archer ».

– Un cœur mixte ? comme dans les mariages du même nom ?

– Je ne peux rien vous dire de plus à ce sujet.

– Et en conclusion ?

– Ce qui m’a été dit est que « tout se termine dans une finalité ».

S’annonce alors «la venue des cieux qui permettent de calmer les tempêtes sur terres »

– Sur « terres » ? Ah, je vois, une histoire de mondes parallèles !

©Bleufushia

NB 1. Ce petit amusement sans trop de sens et, je le reconnais, assez peu abouti, qui se termine en tête à queue, est né d’un certain délire qui s’est formé dans ma tête fatiguée à la lecture de copies utilisant l’orthographe d’une façon peu orthodoxe (comme si les mots étaient interchangeables et que rien ne pouvait modifier le sens du mot entendu).

Comme je n’ai rien publié encore en 2015 (pour cause d’immersion dans les examens où ont été produites ces merveilleuses copies), voilà une petite mise en jambes sans prétention. Mes étudiants se lancent, à l’écoute d’une musique qu’ils doivent commenter, dans des fantaisies qui me réjouissent parfois, manient les images d’une façon qui frise souvent la poésie surréaliste, me conduisent à des associations absurdes, et à des films persos, en marge du travail : ce texte/exutoire est un mélange des pistes où leurs écrits m’ont amenée.

Les mots entre guillemets ont été prélevés, parmi d’autres, au milieu de copies. Vous aurez reconnu les chœurs, les archets des cordes, la famille des vents, et j’en passe. Je précise au passage que, évidemment et de façon totalement partiale, je n’ai choisi que des extraits de copies à l’orthographe flageolante, dont le contenu me faisait sourire… Il en est d’autres excellentes – et c’est heureux – qui, seulement, forcent l’admiration. Celles-là, vous n’y avez pas droit !

Le morceau sur lequel ils devaient plancher était en deux parties enchaînées, un choeur (que voilà – vous y remarquerez la présence des archers cardiaques) et une description musicale hollywoodienne de l’atterrissage de l’avion de Nixon (là où le « cœur devient mutique » et où les commentaires dont je me suis servie fleurissent…cette partie-là n’est pas présente dans l’extrait, mais elle vaut son pesant de cacahouètes et se prête bien aux délires interprétatifs).

Il s’agit du début de l’opéra de John Adams : Nixon en Chine

NB 2. Le morceau que j’ai fait analyser n’était donc pas une fricassée, contrairement au titre que je donne à ce petit rien du tout tout bleu que vous venez de lire.

Vous saviez sans doute qu’il existe des fricassées en danse !

Elles sont définies ici comme « des contredanses très polissonnes », là comme une lutte entre l’été et l’hiver (à ce propos, moi, je suis dans le camp de l’été, et comme on y va de ce pas, braves gens, je m’en réjouis fortement).

Vous ne voyez pas le rapport ? Moi non plus !

Mais saviez-vous que c’était également un terme musical ?

Il s’agit d’une musique en coq-à-l’âne, formée de fragments sans suite (comme mon petit texte !), un quolibet (de « quod libet », ce qui te plaît), une sorte de collage musical à partir de thèmes empruntés encore pratiqué au XVIIème siècle

(écoutez, si cela vous chante, la version de la petite musique de nuit de Mozart par Peter Schikele, plus récente encore).

Si vous désirez vous essayer à la confection d’une fricassée en bonne et due forme, en voici la recette, prise sur le site nonpapa.free.fr

Recette de la fricassée

1. Choisissez une chanson célèbre, le plus souvent à 4 voix ; Extrayez entièrement l’une des voix ; Arrangez à votre goût

2. Découpez finement entre 50 et 100 chansons ; Sélectionnez les meilleurs morceaux, en général le début ou le plus grivois ; Mélangez le tout en assaisonnant de science de contrepoint et d’humour ; Répartissez les morceaux entre les voix de la polyphonie (de 2 à 4)

3. Superposez la préparation obtenue à la chanson célèbre ; Vous obtenez une œuvre musicale en « pots-pourris » simultanés