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L’inconstance (à Chimène)

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C’est en écoutant Ferré chanter Aragon que m’est venue l’idée de vitupérer deux-trois trucs qui me mettent la rate au court bouillon (au milieu de plein d’autres, mais faut bien commencer par un bout).

« Il vous reste du moins cet amer plaisir-là /Vitupérer l’époque »

Il a raison, le père Louis : il ne nous reste plus grand chose, et quitte à être amers, autant que cela soit plaisant.

Faut dire que l’époque se prête un max à la vitupération (j’adore ce mot, où j’entends une histoire d’opération de vipère dyslexique de la mort qui tue).

Et si, comme le dit Aragon, « vaut mieux cent fois brosser les manteaux de vison /Que buter les rentières », il faut bien reconnaître que le vison se fait rare. Qu’il est même capable d’être en voie d’extinction, le bougre, rien que pour nous embêter. Et que buter les rentières, c’est pas bien jojo.

Donc, vitupérons l’époque dare-dare.

Cela dit, j’aime bien aussi l’animadversion.

Je me la pète un max, genre la fille qui a un vocabulaire de ouf, mais je l’ai découverte tout à l’heure en allant fureter pour savoir si Aragon aimait particulièrement les vipères.

Et j’ai trouvé ça :

« L’animadversion des classes inférieures contre la classe aristocratique ne détruit pas son ascendant sur ceux mêmes dont elle est haïe » (Mmede Staël)

Ça en jette, non ? Bon, ça causait un peu compliqué à l’époque. (m’a fallu trois lectures pour comprendre de qui quoi caisse c’était l’ascendant de quoi)

Si je traduis grosso merdo, ça sert à rien de gueuler si c’est pour continuer à obéir (en croyant qu’on ne le fait pas, juste parce qu’on a gueulé – alors que les autres, ils s’en balancent).

Moi, je réclame l’hostilité déclarée, et l’insoumission (même se je ne me fais pas beaucoup d’illusion sur ma marge réelle de manoeuvre)

Reconnaissance faciale et autres bonheurs

Je suis suivie, contrôlée, mise en fiche et autre. Comme vous, comme tous.

Sans doute un peu moins que les chinois, mais à peine moins. Et gageons que le « moins » ne va pas durer un max.

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en haut, la note obtenue

Encore récemment, le gouvernement imposait aux instits de commencer à ficher des gamins de maternelle  dont le comportement asocial pourrait annoncer de la délinquance de haut vol, et ce, dès trois ans – à leur manière de lancer les cailloux (je ne sais plus où on en est de ce dossier, d’ailleurs).

Ce matin, mon réseau social préféré me propose un contenu sponsorisé. C’est devenu une habitude, et pas qu’un seul, d’ailleurs.

Je ne vous apprends pas que le fichage à fins commerciales – qui n’est pas le seul, loin de là – est généralisé dans les moindres détails : impossible de se garer sur un parking, acheter une baguette, ou rentrer dans une boutique pour demander où se trouve la rue machin, sans que nos téléphones nous demandent immédiatement quelle note on attribue à tous ces lieux. Si on les recommande…

Alors que je me fous des notes comme de l’an quarante, et que je suis une fille basique : j’achète mon pain en pensant juste à le manger,  et je vois sans le noter le joli sourire de la boulangère et, égoïste que je suis, je ne me précipite pas pour partager ma fréquentation de ce lieu avec TOUS mes amis. Les notes, je ne les tolère que de musique.

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Generik vapeur by ©bleufushia

Et franchement, vous avez vu ma binette ? J’ai une gueule à recommander un parking tenu par des escrocs qui ont pignon sur rue ?

Donc, ce contenu est bel et bien à moi adressé :

« you’re talking to me ? » « yes, sir, yes ! »

Cranibus calvus, cranibi calvi

Voilà : « le coût de la greffe de cheveux en Turquie n’a jamais été aussi peu chère » (sic) Et d’annoncer le prix : 1969 euros ! (et nous sommes le 19/6/(201)9 – je dis ça, je dis rien).

Mazette, c’est donné, en effet (si on compte en plus l’ortho, bradée à un franc ancien la cagette de douze !).

Je vais y courir de ce pas. En même temps, ils ne disent pas où, en Turquie. Si ça se trouve, c’est à Pétaouchnok (ne me demandez pas comment s’appelle Pétouchnock en Turquie, j’ai toujours été une quiche en géographie). Et pour aller là-bas, si ça se trouve toujours, ça coûte un pognon de dingue que même pas on a !

Mais comment ils sont remontés jusqu’à moi, hein ?

A cause de ma top beauty-sphere-perruque bleufushia ?

photo Science et Avenir : les molécules du souvenir

Ou alors, de mon intérêt pour les motivations profondes de cette employée de la morgue belge chez laquelle on a retrouvé 3000 pénis empaillés ? (pourquoi on est allé fouiller chez elle, ça, c’est un mystère)

Mais vous me connaissez, j’adore les mots, et cela m’a amenée à contrôler comment on disait la tête de la chose en argot (c’est ça, mon souvenir était bon, c’est bien un chauve), et à reporter sur mon notebook quelques expressions croquignolettes sur la chauvitude de la tête.

Serait-il possible – j’en tremble – que les mentions reportées : « ne plus avoir de chapelure sur le jambonneau », ou « plus de paille sur le tabouret », ou « plus d’alpha sur le gourbi » , ou encore « dégazonné », m’aient trahie, et puissent amener, dans un futur proche, à ce qu’on me propose du gigot roumain, des sièges polonais, de l’alpha totalement omega (3, ou 5 G), ou du monsanto à snifer le soir au fond des midnights à moitié verts ?

Damned !

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porte perruque (1930)

Au delà de mon inquiétude pour l’état déjà décadent de ce que les chinois appelleraient mon « crédit social », dans cette vie à points qu’ils ont inventée (je ne traverse pas toujours dans les clous, il m’arrive, parfois, de critiquer notre économie, je ne suis pas dans la « désirabilité » extatique des produits de consommation, tout en pointant « l’arduité » de l’existence, et je m’en arrache parfois les cheveux – je sais que je suis donc, et visiblement, une personne de « non-confiance »), je me permets de vous faire part de mon inquiétude pour la planète, qui me semble implicite dans cette histoire de déchauvitude active.

Si la première chauve venue va prendre un avion au kérosène non taxé dès qu’il lui vient l’envie d’avoir plus de poils sur le caillou – et c’est tentant : hop, un petit voyage aux portes de l’orient, l’exotisme fascisant à portée de main, et finie la tonsure ! -, vous imaginez l’état de la planète au bout de ne serait-ce que mille « tremplins à mouche » voyageurs (et hop, un peu de baygon !).

Sans compter la transpiration qui peut vous faire glisser les cheveux nouvellement greffés vers le cou (bicoze le réchauffement climatique dont on nous rabat les oreilles – quand elles sont rabattues, les cheveux ont toute latitude pour glisser à l’envi, et faire de l’opération un échec)… Et obliger à une récidive.

Ça me fait penser à mon amie de cœur, dont une expression favorite, qui me fait bien rigoler, lui servant à l’admiration, mais aussi à l’ironie, consiste à dire : « c’est velu, ça ».

L’avion pour aller en Turquie se faire greffer, c’est velu comme idée, non ?

Bagnolasses (en provençal, -asse est un augmentatif qui indique la distance qu’on professe vis-à-vis de la chose)

Dans la foulée, j’entends une pub répugnante (on dirait du macron himself) pour une bagnole de « classe aristocratique » – elle n’a pas pu vous échapper, cette pub, elle tourne en boucle dans le poste – qui vante le plaisir de ne pas pouvoir se garer, ou celui de prendre un itinéraire beaucoup plus long que prévu, pour la prolongation de l’état de jouissance (de la conduite : on a les jouissances qu’on peut).

L’argument utilisé est le plaisir du riche de se foutre de tout au nom de son plaisir, justement.

Il monte dans sa bagnole, il roule plus longtemps qu’il n’en a besoin, ou même, il roule pour rien – parce que c’est jouissif de rouler dans cette caisse-là, en jetant ses mégots par la fenêtre, il passe deux fois à la pompe, et en rentrant, il signe sur un de ses smartphones une pétition contre la perte de la biodiversité blabla, et il se couche la conscience tranquillou pépère de celui qui sait la valeur de la vraie vie.

Conclusion hautement philosophique de mon cru (ça rappelle une contrepèterie connue, mais ça n’en est pas une)

On est dans une société totalement paradoxale : apparemment règlementée, mais totalement dérapante et sans respect pour la règle et l’intérêt commun, à la fois totalement rigide et étrangement élastique, les mêmes individus pouvant être successivement rigides ou élastiques, à cheval sur la loi (pour les autres) et oublieux de tout (pour eux-mêmes)…

Ces deux publicités, celle de la greffe de cheveux étant plus légère et improbable (si vous connaissez un greffé, donnez-moi ses coordonnées, please !) que celle visant les gros beaufs qui vont polluer en emmerdant les autres, me semblent un exemple assez flagrant de ça : le paradoxe permanent, érigé en règle de fonctionnement systématique par ceux du bord des puissants, contre les autres – et, au bout du compte, contre tous.

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Raymond Savignac : parisienne, mais qui s’exporte beaucoup !

Me revient à l’esprit la loi Evin, qui a interdit la publicité pour le tabac, au siècle dernier. A partir de la publicité, on a glissé de façon assez surréaliste (et soviétoïde – version l’effacement, le retour) à la suppression des images de cigarettes (Maurois, Sartre, Monsieur Hulot…et j’en passe, perdant leur cigarette ou leur pipe sur des photos célèbres. On avait, après procès, épargné Camus, et on n’avait pas touché à Fidel Castro, parce que c’était rien qu’un étranger…

Récemment, une proposition de loi proposait d’aller plus loin en purgeant les textes littéraires classiques de toute référence au tabac, et envisageait même de censurer tout texte à paraître – ou, au moins, de mettre un bandeau sur le livre, indiquant sa dangerosité. On laisse toutes sortes de fumées tueuses de gens dans l’air, mais on les interdit sur le papier.

Monsieur Hulot privé de tabac

Evidemment, on est dans un dérapage les deux pieds sur le guidon et les yeux fermés, à partir de ce qui peut paraître être une bonne idée, vers du délire pur et simple. Mais ce délire (au nom du sécuritaire qui monte-qui monte-qui monte) peut se mettre en place, parce qu’au bout du compte, il touche (sur le versant image et mots) uniquement des choses qui s’apparentent à la liberté de penser, de s’exprimer. Ça ne brime que des artistes (dans l’exemple du tabac), et ça, non seulement, le pouvoir s’en fout, mais en plus, il adore.
Et il y a plein de gens qui ne trouvent même pas ça délirant du tout. Et ça, ça me troue menu menu.

Alors que toucher au veau d’or, ça, non ! On range toute préoccupation et toute morale collective quand il s’agit que les riches se gobergent en paix, se fassent pousser des poils, ou empestent l’atmosphère.

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fume, c’est du turc !

Pas la moindre petite loi qui empêche de faire de la pub pour encourager à rouler en voiture tant et plus.

Ça ne vous choque pas, ça ?

Ben, moi oui.

Comme me choquent, à côté de chez moi (c’est un exemple local, parmi d’autres, mais symptomatique), des gens qui s’accommodent de l’inobservance de lois (comme la loi littoral, par exemple), parce qu’ils pourront avoir une vue unique et exclusive sur la mer à partir d’une terrasse gagnée, dans l’indifférence totale (des pouvoirs publics – qui ont d’autres chats à fouetter), sur le domaine public.

Public étant devenu un gros mot… ecco et voila !

Et par chez moi (ceux qui me suivent sur face de book savent le nombre de photos de bord de mer que je poste), il suffit de dire qu’on n’a pas de littoral pour échapper aux lois qui prétendent règlementer sa bétonisation et sa privatisation. Hop ! magie des mots façonnant la réalité !

Ne les gêne nullement que la dite terrasse, en plus de leur amener du plaisir,  empêche les pauvres de voir la mer (zut, quand même, c’est pas juste qu’ils y aient droit, qu’ils aillent plutôt bosser, ces bandes de feignants – quand on est pauvre, on ne sait de toute façon pas voir la beauté), et même, leur interdire le passage (terrasse gagnée sur un chemin communal qui longe le rivage : c’est ballot, on n’a pas fait exprès de déborder, les gens voient vraiment le mal partout !).

Un chemin public ne peut plus être qualifié de public, s’il n’est pas emprunté par du public, non ? Que le fameux public n’y circule pas parce qu’il ne peut plus y passer, franchement, on s’en tape, non ? (je sais, j’emploie beaucoup le mot public, mais c’est un mot dont l’obsolescence totalement et cyniquement programmée me chiffonne dru).

C’est un exemple : la loi est bonne quand elle contraint « ceux qui ne sont rien » à rester dans leur niche et à leur place, mais on l’oublie avec bonheur quand elle permet de jouir du calme, du luxe et de ce qui reste de beauté.

C’est comme ça, on commence par s’arranger avec les mots, puis avec les lois, puis avec sa conscience. L’essentiel, c’est de s’amuser, non ?
Vous seriez pas un petit peu des coincés de l’amusement, les zamis ?

Bon, je viens de relire mon article : finalement, je me trouve hyper trop soft de l’animadversion vitupérée.

Venera panopticumgallery

Je me reconvertis, je vais être désormais panoptique non vitupéreuse (panopticon gallery : Venera). Je suis belle en virtuelle, non ?

©bleufushia

2 réflexions sur “L’inconstance (à Chimène)

  1. Lu ailleurs par hasard, j’avais bien aimé les « critiqueurs de tous poils » (probablement séduite par le rapprochement subliminal à une biodiversité en perdition) mais là j’adhère complètement à l « hyper trop soft de l’animadversion vitupérée » ! 😉

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