C’est bientôt l’été ! (lunettes d’été – Mitsuru Katsumoto)
(Ayant le cerveau vide et aucune idée de titre pour cet article, j’ai demandé à mon petit camarade une suggestion, que voilà, même s’il n’y sera question ni de ping pong – malgré le fait que l’enseignement soit un sport à part entière -, ni de Corée – qu’elle soit du nord ou du sud, à l’heure, pourtant, de la méchante épidémie de MERS qui porte un si joli nom).
Ouh la la, vous êtes déjà partis…
Non, please, restez ! Oubliez ce début calamiteux…
J’y vais, pour une des dernières chroniques de l’année de Lili Ze Prof.
L’année universitaire tire à sa fin.
Parfois, quand je suis fatiguée – ce qui est le cas -, le simple fait d’écrire une phrase comme celle-là me fait divaguer.
Est-ce qu’en septembre, on dira qu’elle « pousse à son début » ?
Ou alors qu’elle pointe (à l’instar du chômeur pétanqueur, qui pointe au lieu de tirer) ?
Je n’en sais rien, mais ce qui est certain, c’est qu’il n’y a aucun moyen de tirer au flanc, ou de tirer sa flemme quand elle tire à sa fin, et là, j’ai pourtant un intense besoin de vacances.
Mais vous l’auriez sûrement deviné, perspicaces que vous êtes, rien qu’à ce début d’article prometteur, certes, mais déjà, à ce stade, infiniment foutraque !
Que je vous dise : j’ai été ensevelie sous une avalanche de copies.
Pour ne pas sombrer, j’ai d’abord songé à utiliser cet ingénieux dispositif anti-neige (avalanche = neige : faut suivre, les loulous !), mais je me suis vite rendue compte que, pour me pencher sur ma table de travail, c’était tout sauf pratique.
Masque tempête de neige (1939 – Montréal)
La référence à l’avalanche, ça me rappelle soudain un épisode passé de la fac dans laquelle je gagne mon bel et bon argent : elle était, à ce moment-là, occupée par un collectif de lutte, lors d’une grève contre la funeste loi d’autonomie des universités.
Le doyen de l’époque – ne me faites pas dire ce que j’en pense, je vais devenir grossière – avait fait évacuer la fac en faisant intervenir trois bataillons de CRS (contre une cinquantaine d’étudiants et personnels qui dormaient – l’affaire se passait à 6 h du matin). Vous vous souvenez peut-être que, sur un campus, règne la « franchise universitaire » qui, depuis le moyen-âge, empêche les forces de l’ordre d’y pénétrer, sauf autorisation expresse du président (ou cas d’urgence absolue). Il a été rare que les présidents utilisent ce pouvoir, sauf ces dernières années, où ils ont souvent choisi cela comme mode opératoire principal, chiens verts qu’ils sont (désolée pour cette insulte injuste envers le vert canidé).
Dans mon université, l’affaire dont je vous parle était une grande (et sinistre) première, et la situation très calme ne l’imposait nullement.
A une question d’un enseignant s’opposant à cette descente violente, question où le collègue le prenait clairement à partie, le doyen de l’époque – à mon sens, un très sinistre individu, au demeurant à la tête d’un master sur la manipulation (ça ne s’invente pas !) – a répondu :
– Mais je n’ai pas fait intervenir les CRS, c’était des compagnies de secours en haute montagne ! Et le collègue de lui répondre que c’était sans doute pour nous dégager de l’avalanche des tracts… Mais je digresse, là !
Pour revenir à mon cas, j’ai fait plusieurs rêves, pendant cette période de corrections, dans lesquels il apparaissait que c’était plutôt l’idée de submersion, et de noyade, qui s’imposait à mon cerveau quand il était libre de chevaucher les vastes étendues des songes, réduisant alors la réalité à un « bredouillis »*.
J’ai immédiatement commandé et testé l’équipement suivant, que je vous recommande.
Gilets de sauvetage, en chambre à air de vélo (1925 – Allemagne)
J’ai alors flotté à l’aise au-dessus des tas, mais mon problème était double : je survolais mes copies d’un peu haut ET j’avais par ailleurs la plus grande difficulté à me concentrer (avec un léger mal de tête du à la difficulté de la lecture de loin). Pour parvenir à mes fins (« tire »-t-on à ses fins ?…), j’ai finalement opté pour une invention fantastique, l’Isolator. C’est portable, individuel, seyant, efficace.
J’avoue que je suis emballée par cet appareil, sans réserve.
(Si vous ne connaissez pas, allez l’essayer au plus tôt).
The Isolator (Hugo Gernsback – 1920), dans Science et Invention magazine.
Euh, enfin, emballée, mais en nage, parce qu’il faisait 30 degrés au moment du pic de boulot, et que le feutre, c’est moyennement de saison.
Pour l’hiver, en revanche, je pense que ça serait idéal pour les jeunes générations, adorables mais terriblement éparpillées de nature, pour arriver à profiter pleinement de leurs études tout en se réchauffant les neurones.
J’envisage, lorsque la rentrée poussera son début, de suggérer à l’administration l’étude du marché le plus avantageux pour ce produit.
Et je me vois déjà dans ma classe, évitant définitivement d’être confrontée à des garnements insoumis comme celui de droite… Le pied !
(euh, pardonnez ce détournement techniquement assez grossier)
Au cours de mes corrections, je me suis instruite un max : c’est ça qui est chouette, dans l’enseignement, c’est que ça circule dans les deux sens.
J’ai ainsi découvert
– un instrument inconnu, sans doute à percussion (« il tapait sur son jumbo »)
– « l’otographe », qui n’est demandé qu’aux gens célèbres parce qu’ils écrivent avec leur oreille
– « la crucification », qui est un truc un peu désolant qui est arrivé à un mec dont le nom m’échappe
– « le consansuce », qui, si j’ai bien compris, est un nouveau terme musical qui se passe d’explication (« j’entends dans cette musique un consansuce à la basse »)
– la « dévulgarisation » (ou l’art, sans doute, d’embrouiller et de compliquer)
– la « mixitude », cousine de la bravitude et autre…
– le « djent » (là, c’est du sérieux, les gens), qui est un sous-genre musical du heavy metal et dérivé du metal progressif, mot désignant une onomatopée produite par le son d’une guitare haute et saturée. En référence aux musiciens du groupe fondateur du djent, Meshuggah, qui peuvent être considérés comme les « intellos du métal »…ça vous en bouche un coin, ça, non ? ben, moi aussi !
– qu’il pouvait y avoir du synthé si c’est du « pagan » (le Pagan metal, autre branche du heavy : c’est du lourd, comme dirait l’autre !).
Ça aussi, vous faites les finauds, mais je suis certaine que vous ignoriez !
Aux écrits ont succédé les oraux. Il faisait beau, c’était déjà l’été : les looks des étudiants font dans le fashion, cheveux verts (trois filles, un gars), ongles bleu turquoise (deux garçons), coiffures « ananas » (rasé sur les bords, et une touffe nouée par un chouchou pour le sommet) pour la fraîcheur...
Parmi les oraux, des mini-séances d’enseignement. Une a été consacrée à la musique d’un jeu vidéo**.
Le « prof » fait entendre une musique, sans commentaire préalable. Demande à ses petits camarades ce que c’est.
V., une fille réservée qui parle peu, jaillit de sa chaise et répond, enthousiaste et précise :
– « C’est le début de la fin du dernier niveau de Lords of Shadow de Castelvania. »
Et elle développe, aidée par les deux autres filles du cours. Et par les gars.
A part moi, tout le monde baigne dans cet univers.
J’apprends que c’est un jeu vidéo (dont l’ami Wiki dit que c’est « une des séries les plus respectées » depuis 86 jusqu’à nos jours) – qui comprend de nombreux épisodes, dont je vais découvrir, au cours de cette séance, que V. comme les autres les connaissent par cœur, histoire et musique, et même détails, du genre, dates de parution, nom des dessinateurs, des musiciens, etc.
Comme je m’en étonne un peu, ils me racontent y jouer plusieurs heures par jour, pour certains (même si, pour d’autres, ils emploient un imparfait qu’on sent relatif à un passé très proche).
Je m’en doutais déjà, mais ça confirme.
Sinon, c’est l’heure des adieux (pour les troisièmes années qui s’en vont vivre leur vie ailleurs) et des déclarations qui font chaud au cœur (quand ils vous remercient, qu’ils pointent leur plaisir à vous avoir accompagnée quelque temps), ou qui émeuvent (quand je reconnais à haute voix que je vais regretter certains d’entre eux, et m’en souvenir avec un bon sourire).
Les « grands », comme je les appelle, ceux dont je m’occupais particulièrement, ceux qui veulent devenir profs, ont fait, chacun dans leur genre et avec leurs atouts personnels, une année excellente, dans laquelle ils ont réellement progressé. Si je m’interrogeais un peu en milieu d’année sur leur capacité à enseigner, ils me semblent, pour la plupart bien partis, avec une vraie réflexion sur ce qu’ils veulent incarner comme type d’adulte (entre autres).
Je pense aussi qu’ils sauront développer chez les enfants une culture (même si ça ne sera pas celle de ma génération, je suis moins pessimiste en cette fin d’année).
Ils ne l’attaqueront pas au désinfectant, la culture, contrairement à ceux qui luttent, non pas contre le théâtre, mais contre le MERS (de l’art de retomber maladroitement sur ses pieds, ça s’appelle ! cf l’intro ! – ok ! légèrement tiré par les cheveux, mais je trouve cette photo impressionnante).
Théâtre désinfecté à Séoul (juin 2015), contre l’épidémie de MERS
Pélagie, en revanche, me semble toujours fragile !***
Ils m’ont avoué quelque chose que je voulais vous raconter. Ils se sont réunis pour des soirées tout au long de l’année, soirées où ils jouaient de la musique entre eux, y compris cette catégorie particulière qu’ils appellent « les musiques du cours ». Et…
– Celle qui a été notre tube, cette année, ça a été La java martienne. On adore tous cette chanson ».
Comme quoi, faut jamais désespérer !
Pour les autres (les « moyens », c’est-à-dire les étudiants de deuxième année), l’affection s’est manifestée par la confection d’un énorme gâteau collectif (pour la fin du cours) et par l’aveu, pour certains, qu’ils ont beaucoup « grandi » cette année grâce aux cours.
Pour certains autres (qui ne disent rien), j’ai la sensation d’un grand flop : nos routes intellectuelles ne se sont visiblement pas croisées, et je pense que j’ai raté certains de mes objectifs.
Un étudiant à qui je demandais, par mail, s’il avait réussi son année (un de ceux qui ont grandi), m’a répondu que oui, en terminant son message par ces deux lettres laconiques : GG.
Heureusement, internet m’a porté secours pour comprendre sa réponse. GG = « good game »
Pour ceux dont je parlais, ceux du flop, ceux avec qui « ça a fait pschitt » (comme disait l’autre), c’est sans doute (mais je ne sais pas si je peux l’employer) BG – bad game – en ce qui me concerne.
On ne peut pas gagner tout le temps. N’empêche ! Cela me peine.
Une dernière question me taraude. GG, ça se prononce gégé ? dgidgi ? guegue ?
©Bleufushia
* J’emprunte le « bredouillis de réalité » à Antoine Volodine, dans Terminus Radieux
** Session de rattrapage sur l’épisode précédent : https://bleufushia.wordpress.com/2015/02/09/decalage-le-recit-desabuse-dana-cro-21/
*** itou : https://bleufushia.wordpress.com/2015/01/23/songe-dune-nuit-dhiver-20/
**** re itou : https://bleufushia.wordpress.com/2014/10/09/ma-vie-sur-mars/