Elle est là, sur la grève, alanguie face au soleil déclinant.
Dans une pose pas vraiment lascive. Juste allongée, calme.
L’œuvre d’une main adulte : j’ai vu faire, de loin, le jeune homme qui l’a créée, et c’est seulement lorsque la plage s’est vidée que je me suis approchée pour la contempler.
J’ai toujours eu un faible pour les sirènes.
Je me suis éloignée un peu, en la gardant dans mon angle de vue cependant, pendant que moi aussi, je contemplais, avec elle, le soleil qui rougeoyait doucement, là-bas, à l’endroit où un cyprès gracile s’élance entre deux pins parasols.
Un peu plus loin, un groupe s’est installé pour un apéro sur la plage (la grande mode cette année, sans doute une conséquence de la canicule : c’est vers 8 h du soir qu’on arrive enfin à ne plus ruisseler, et le bord de mer, avec la brise douce du soir, c’est bon, juste bon. Et je ne suis pas la seule à ressentir cela).
Les enfants l’ont repérée tout de suite, se sont approchés en chuchotant : une sirène, c’est un peu magique, ce n’est pas comme un château.
Rapidement, ils ont vu la mer qui monte toujours un peu plus et qui menaçait la belle.
Sans vraiment se concerter avec les autres, un premier a commencé à consolider la frêle barrière de sable qui la séparait des vagues du soir, un autre a continué, et au bout d’un moment, ils étaient tous là à s’occuper de la protection, à prendre soin d’elle.
Le ballet des va-et-vient a continué un grand moment, et j’ai admiré le sérieux que ces enfants consacraient à leur tâche. Et la façon harmonieuse dont ils collaboraient ensemble, tendus vers un but commun.
Que ce but soit relativement dérisoire ne les arrête nullement : c’est l’action, la solidarité, et l’activité symbolique qui compte.
Et sauver une sirène, ce n’est pas rien !
Je fréquente des parcs publics, et ai vu souvent jouer mes propres enfants. J’ai souvent été frappée du nombre de disputes, d’éclats, de luttes entre gamins qui émaillent les jeux.
Par contraste, je me fais soudain la réflexion que sur une plage, il est très rare que je sois témoin de ces petites luttes de pouvoir, de disputes, de cris.
Sur la plage, et c’est cela que je contemple à ce moment même et qui me frappe, les petits humains collaborent en douceur, s’absorbent dans des actions souvent communes, dans des créations qui les retiennent de longs moments dans une harmonie de collaboration.
Je ne sais à quoi c’est dû, peut-être la présence apaisante de la mer.
Je me dis qu’il serait bon que le monde soit une plage.
Je retourne me baigner encore un peu.
Du large, je vois qu’ils ont terminé leur œuvre de protection.
Ils courent un peu sur la grève, s’amusent à autre chose.
A un moment, les adultes se lèvent, rangent les verres et les bouteilles.
Juste avant de partir, sans apparemment se concerter, les enfants sautent sur la sirène et la détruisent, avec la même solidarité qu’ils ont eue dans la protection.
Je me désole intérieurement, elle me plaisait, cette sirène.
Eux non, ils rient, je les entends.
Et je me dis soudain qu’ils sont dans le vrai : pourquoi s’attacher à conserver à tout prix un objet (fut-il presque « humain ») alors qu’il peut vivre aussi bien dans l’imaginaire ?
Finalement, l’important, c’est peut-être uniquement ce qui circule entre les humains.
©Bleufushia