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A la rue

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Transport en commun (linogravure de E. Savoye)

J’ai accepté de partir avec des copains pour une « innocente » virée vers la Cité de la rue – ou un nom dans le genre, je n’y ai pas prêté attention sur le moment, je suis crédule et de bonne composition.
« Tu vas voir, qu’ils ont dit, paraît que c’est velu et que ça décoiffe sec ».
Vu le mistral qu’il y avait, je n’avais aucun doute.
Mais il ne faut pas se fier aux noms (ni à rien d’autre, au demeurant), pas de rues dans la Cité de la rue. Aucune ? non, et pas de maisons non plus, rien que des containers en vieux métal rouillé, des véhicules en tout genre mais tous hors d’âge, des hangars immenses, vides et sombres, désertés.
Comme si le temps s’était figé.
Un mauvais pressentiment m’a effleuré l’échine, mais trop tard. J’avais accepté de venir dans cette galère.
Le temps de tenter de déchiffrer mon chemin dans les traces de pas, de suivre un vague « c’est par là » après la flèche violette (on ne se méfie jamais assez des couleurs : je n’aurais pas dû commencer la journée en lisant un article sur la Catastrophe ultra-violette, ce truc quantique trop chelou, ça porte la scoumoune) et je les avais paumés. J’étais au milieu de nulle part.
J’ai commencé à repérer, dans des coins assez peu visibles, des conseils sybillins gribouillés sur les murs, mais va-t’en savoir, peut-être que ça n’avait rien à voir, ou que c’était pour mieux perdre le monde – je dis ça, je ne voyais personne non plus – : «cherche la lumière qui crépite sur le plastique », « va te baquer sur la digue », « le sac rose qui résiste, c’est finish (sic) », « trouve le masque qui a touché une bouche qui ne pensait pas », « va croquer un oursin » (ça va pas la tête ?), « allez, boulègue ! », ou des questions : « pourquoi le temps semble détraqué ? » (mais de quel temps il s’agit ? tous les objets obsolètes me font douter fortement).
Ça ne m’aidait pas lerche.

J’ai choisi d’avancer. Si tant est qu’on puisse considérer ça comme un choix.
Avec en tête le titre approximatif, mais lancinant, d’un roman lu dans une autre vie, une histoire de cheminement parmi des fantômes aux yeux troués. Ça y ressemblait, mais dans une Amérique en deshérence, du siècle dernier, un décor de désert en carton-pâte mis en scène par un clown moqueur.

De qui se moque-t-on ? Une sensation d’être tombée dans un piège d’un humour douteux.
Avant, dès l’arrivée, les images d’un cataclysme aux causes indéterminées : bus posé sur son cul, volant vers le ciel, caravanes abandonnées, vélos hors d’atteinte, fusée écrasée au sol, comme un inventaire à la Prévert sans raton-laveur, des bidons industriels bleus à perte de vue.

Nouveau, laissez-moi rire jaune !

Et le coup de la fusée de Tintin, on ne me la fait pas non plus !

Un panneau « route barrée » alors qu’il n’y a pas l’ombre d’une route à l’horizon (je sais que les routes ne font pas d’ombre, c’est histoire de dire)

Après ça, j’ai commencé à discerner des figures humaines, sauf qu’elles étaient dessinées, ou sous formes d’ombres (purs fantasmes, comme pour la route, sans personne de chair et d’os qui puisse créer une ombre), ou des personnages fantastiques, et même un enfant qui paraissait « authentique » – la photo ne trompe pas, pourtant.
Je vous laisse voir cela par vous-mêmes.

En vrac, peu importe, puisque tout ceci n’a aucune espèce de logique et de sens.
Ma déambulation se déroulait dans un silence sidéral -alors que toute cette tôle rouillée aurait dû grincer au vent -, et passait de lieux vides à des endroits sans repères possibles !
Je crois être tombée dans une faille de l’espace-temps, un endroit aveugle dans un temps incertain.

Le regard de ce dernier personnage m’a fait rebrousser chemin très vite, une impulsion incontrôlée, comme un indice de mon effacement prochain.

J’ai couru, dans une sorte de brouillard indistinct : le paysage était devenu subitement liquide, j’entendais même le grincement insistant d’une noria. Je ne me suis pas retournée pour en vérifier l’existence. Rien ne semblait vrai. Le bruit en était partiellement recouvert par des chuchotements dans une langue non reconnaissable.

Puis s’est imposé le claquement des haubans, avec la bande sonore d’un haut-parleur de gare, qui annonçait le train de 8h22, et on était hier.

J’avais été téléportée à l’Estaque (comment l’expliquer, autrement ?), il n’y avait plus aucun vent et les copains, installés dans un café, me hélaient.
« Tu as vu le petit escalier qui monte raide ? On se croirait dans un film de Guédiguian ! ».
Je ne leur dis pas que je sortais d’un scénario assez différent. Chacun son cinoche, after all !


©Bleufushia

En vérité, visite – ici partielle et partiale – d’un lieu très vivant, animé, superbe, plein de créations en tout genre, entre autres, tous les décors des animations de rue de Générik Vapeur – j’y ai retrouvé avec plaisir ceux de l’installation du 17ème arrondissement de Marseille (qui n’en compte que 16) lors de Marseille Capitale de la culture en 2013. J’y avais consacré un album photo facebook, d’ailleurs.
Il s’agit de la Cité des arts de la rue, installée aux Aygalades, un quartier de Marseille en bordure de l’autoroute Aix-Marseille (dans ce sens-là, on peut voir en contrebas le bus renversé qui sert d’amer, loin de la mer). Cet endroit permet, entre autres, à des compagnies de travailler en résidence. Il y a également un mur (le mur duf – pour « du fond « ) qui était hier le lieu d’une opération particulière : ce mur a été peint par des artistes divers 49 fois. Le 50ème avait décidé de faire oeuvre d’archéologue en isolant des fragments du mur destinés à être partiellement creusés pour en dégager des oeuvres aléatoires formées de la superposition des couches successives.
Une fois par mois, le premier dimanche, il y a des conférences, des animations, des expos, un marché de producteurs et d’artistes (c’est là que j’ai acheté la linogravure de la première photo de l’article, après une discussion chaleureuse avec l’artiste), des spectacles, des ateliers : c’est un endroit extrêmement sympathique et alternatif, où la parole circule, où tout le monde communique. J’y allais pour la première fois. Et en ai été ravie.
La photo des Ectoplasmes paréidolesques est un photomontage de Lili Tango (alias Bleufushia), et les photos sont à l’avenant.

Mon ami Pierre ne m’a pas prêté sa plume, mais m’a encouragée à faire part de ma balade : « allez boulègue, fais voir tes photos » (boulègue, ça veut dire bouge, en marseillais). Il livre une tout autre vision du lieu, plus précise, intéressante, avec de chouettes liens, dans l’article de son blog, le petit monde de Pierre : https://pierregrandmonde.wordpress.com/2023/12/05/digressions-autour-dune-balade-marseillaise/?fbclid=IwAR1VPTEQTgHVkW-B7PcaXCRUf86ESDL2nxPtIylxrB1oahQoWTMwWxCU3VU

6 réflexions sur “A la rue

  1. Bravo pour ton article très décalé sur cette visite à la cité des arts de la rue que nous avons faite.
    J’adore !
    Je propose un autre regard plus traditionnel et moins enlevé mais non dénué d’intérêt sur cette balade
    https://wordpress.com/post/pierregrandmonde.wordpress.com/2536

  2. Merci ! … un peu émue, car j’ai cheminé, dans une autre vie, parmi les mêmes fantômes…
    Cet article et celui de Pierre, lu avant, m’ont bien fait voyager.

  3. Cela avait l’air super !!! En tous cas article super rédigée qui nous fait voyager en même temps

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