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Chuis swag… foutrement swag (23)

sddefaultPetite chronique totalement fragmentaire, amusée et subjective du jeudi 19 février (Lili Ze Prof et ses démêlés avec les mots et leur sens)
(Pour ceux qui ont un peu de mal, j’ai mis un lexique à la fin de l’article, à la demande expresse de mon amie Hélène, pour qu’elle puisse me suivre dans mon exaltant quotidien)

♪ CA Y EST ! Me too !!!

Je suis au piano, dans la classe des débutants, et tout à coup, comme ça, j’intercale au milieu de ce que je suis en train de leur jouer une phrase musicale improvisée.

Un étudiant au premier rang apprécie, et sur le coup de la surprise, il me lance :

« ouaouh, m’dame, c’est super swag, ça ! »

Bon, je suis d’accord avec vous, il n’a pas dit que c’était MOI qui étais swag, il a juste parlé de la production (modeste au demeurant) de mes petits doigts velus, mais si maintenant on ne peut plus extrapolationner librement, je vous demande un peu où on vit, là ! hein ?

Mais voyez à quoi tiennent les choses : si je n’étais pas allée me renseigner sur le sens du mot swag il y a peu, je n’aurais même pas goûté ce compliment spontané.

Alors que là, je sens que je suis « encore plus swag que tout à l’heure », « et c’est bon ».

Je préfère ça à ce que j’entends juste après.

Ils ont eu la veille un cours sur Haydn, et le prof leur a montré un portrait du musicien.

Ils évoquent ça, en se bidonnant – je les ai entendus (c’était fait pour) et leur demande en quoi la binette de Haydn prête à rire.

– Ben, m’dame, on dirait le sosie du prof avec une perruque !

Bon, je viens de rentrer chez moi, et je vous dis que ce n’est pas vraiment flagrant !

♪ L’heure suivante, je suis en cours avec les grands : je passe dans les rangs, et je vérifie où ils en sont de l’exercice qu’ils font.

J’arrive à côté de J., un bon étudiant qui cache ses yeux gentiment moqueurs sous des dreads.

Avec lui, depuis l’an dernier, on plaisante, par petites touches rigolardes.

C’est léger, marrant : il aime bien s’amuser en travaillant et moi aussi. Souvent, il a l’initiative.

Là, j’émets une taquinerie à propos d’une légère incohérence dans ce qu’il a écrit : je sais qu’il est capable de corriger sans problème, et qu’il ne prendra pas mal ma plaisanterie bienveillante.

Il saisit ma remarque, et y réagit en direction de ses copains :

« oh, les mecs, la prof, elle m’a trotrollé ! »

« Trotroller » ? J’ai un petit moment d’inquiétude, puis j’identifie le verbe : »trop troller ». Je l’ai déjà croisé sur le net, dans le sens de celui qui crée une polémique pour semer une mauvaise ambiance.

Mais à la façon dont J. rit ouvertement, je me détends.

Tant qu’il n’a pas dit « trop flamé », tout baigne

Pfff, je sens qu’il faut que je vous aide (dans la rubrique : comment frimer à peu de frais avec Wikipedia !) : flamé, de « flaming ».

Wikipedia, au demeurant, est grandiose lorsqu’il définit le troll bénin – l’inverse du flaming, justement.

Je cite : « Le troll bénin est un troll tout ce qu’il y a de plus bénin ».

On est rassuré ! Si les trolls bénins se mettaient à être malins… je n’ose même pas y penser !

Mais enfin, heureusement qu’il est là. J. m’aurait accusé de le troller avant l’invention d’internet, j’aurais fait quoi, à part avoir l’air complètement gourde ?

Info-jouet-1998-troll♪ J’ai dix minutes avant le cours suivant, je vais prendre l’air jusqu’au hall. Le hall dont je vous ai déjà parlé : pour protéger des travaux, un placo a été monté, sur lequel les étudiants graffent, taguent, dessinent, s’expriment.

Ça a suscité pas mal de polémiques depuis qu’il est là, d’autant qu’il a été repeint aussitôt recouvert, et recouvert aussitôt repeint. Il y a les pour, les contre…

Les étudiants de musique ont été « regardés du doigt » (c’est un collègue en forme qui m’a dit ça comme ça) comme les responsables de tout ce qui était inscrit. Je passe devant le placo en question, au milieu d’un groupe de muzicos de première année. Ils sont en train de lire un message assez long (et d’une teneur à la clarté relative, mais rédigé en assez bon français).

Un de mes étudiants m’interpelle en riant :

– En tout cas, m’dame, ça, c’est sûr que c’est pas les zicos qui l’ont écrit !

Un de ses copains lui demande pourquoi il dit ça.

Il rit encore et dit : « fastoche à deviner ! nous, les zicos, on sait pas écrire aussi bien que ça ! »

Un autre de ses copains commente : « pas faux ! »

♪ L’heure d’après, j’ai la classe des moyens.

Je distribue une photocopie, et je ne sais comment, j’oublie C. lors de mon passage.

Il réclame sa feuille avec un air sur joué de victime (pour rire).

Je la lui donne en faisant remarquer qu’il a raison de protester si je fais preuve d’ostracisme à son égard. Il me regarde, interrogatif, et conclue l’affaire en disant que ce n’est rien, il sait bien que je ne suis pas raciste.

♪ Un peu plus tard, je passe une musique qui a l’air de leur plaire.

J’entends un commentaire, énoncé par un gars du deuxième rang, vêtu d’un débardeur qui laisse voir des tatouages nombreux (à propos, il faudrait que je fasse une étude un peu approfondie, mais je ne vous dis pas le nombre de jeunes tatoués, garçons et filles confondus : encore une tendance – pas totalement nouvelle certes, mais dont la généralisation presque totale me semble quand même assez récente). Sur sa tête, une crête verte au décoiffé savamment étudié.

– C’est Dallas, ça…

Je n’ai pas repéré s’il s’agit d’une affirmation ou d’une question.

Je m’en enquiers.

– Ben, franchement, ça tue, quoi !

Ah bon ! ok ! Tant mieux si tu aimes, mon gars. J’en suis contente.

♪ A nouveau les grands. Je félicite l’un d’eux, qui me demande :

– Alors, c’est pas veripourre ? (avec un accent provençal prononcé)

Je m’étonne un peu.

La classe me raconte alors qu’un de leurs profs a établi une échelle d’étoiles pour évaluer leurs productions. 5 étoiles, c’est « marvellous » (avé l’assent), 1 étoile, c’est « very poor », et les autres étoiles, c’est 2, 3 et 4, tout simplement.

Le système les amuse beaucoup (et moi avec). J’adopte !

♪ Un médiator marqué AC/DC a été abandonné sur une table.

Je demande aux guitaristes les plus proches s’ils ne savent pas à qui il est. A. me répond, expert, en examinant le petit bout de plastique :

– Je n’en sais rien, mais en tout cas, il est trop fin pour jouer du AC/DC : il est juste bon pour du Oasis.

F. rajoute :

– ah oui, LOL. A. a raison, m’dame, je plussoie !

Moi, je n’ai, tout simplement, pas d’avis sur la question.

La journée se termine. Je rentre chez moi, et passe devant un panneau publicitaire, à la nuit tombante.

IMG_2715Je me trouve personnellement assez peu de rayonnance après des heures de travail, encore moins de rayonescence. Je me demande un peu, dans un accès de légère parano, si ce n’est pas une attaque personnelle, pour souligner combien je suis trop « very poor ».

Mais non, me susurre une petite voix, t’es pas very poor, t’es super swag, remember !

Ah oui, ouf !

J’arrive chez moi, j’ouvre mon courrier.

Un récapitulatif des remboursements de ma mutuelle (ils feraient mieux de ne pas récapituler : je vois que je n’y comprends rien, à leur papier, sauf que les moins sont plus nombreux que les plus). Je parcours machinalement les lignes, et vois qu’on me rembourse une « dispensation ». Kézaco encore ce truc ? Je préfèrerais qu’on me rembourse mes médocs, simplement, comme avant, quoi… enfin, si j’ai le choix… non ? je ne l’ai pas ? bon, merci !

Je suis fatiguée, soudain, il me semble que je ne vais jamais arriver à rester à flot avec tous ces mots qui volent dans l’air du soir.

J’empoigne la dernière BD qui a eu le prix Fnac.

« Un océan d’amour ». 200 pages sans un gramme de texte.

C’est exactement ÇA qu’il me faut.

©Bleufushia

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Pour ceux qui (comme moi) ont un peu de difficulté à s’y retrouver, voici un embryon de lexique – un peu à la louche

Avoir du swag : avoir du style (et les idées dérivées). Il remplace « être (trop) cool », « être « staïle » (je l’écris comme on le prononce).
Ce terme vient apparemment du rap (depuis 2008) et il est fréquemment utilisé par les moins de 25 ans et semble désormais si important qu’il devient l’objet de concours ! Sur youTube, les adolescents s’illustrent dans des centaines de vidéos où ils enseignent comment « avoir du swag ».

Troller : créer une polémique avec des messages provocants (se pratique sur les réseaux sociaux et sur les sites d’information, entre autres). C’est ouvertement de la pollution dont le but est de faire en sorte que tout le monde s’engueule.

En tout cas, cela vise à obtenir une réaction.
Par extension, tout ce qui peut faire enrager quelqu’un.
Cela peut avoir un sens plus léger, de private joke, ou de moquerie fraternelle.
Le flaming est une extension du troll, ouvertement très agressive (et donc, qualifié de troll malin).
Pour arrêter un troll, il faut « arrêter de le nourrir ».

Les Zicos : ben, les musicos, quoi !
Ceux qui pratiquent les musiques actuelles amplifiées sont généralement qualifiés de ziczac (ou des ziczaqueux).

Ostracisme : on sait pas. Sans doute un genre de racisme à l’ouest ? ou à l’os ? mystère et boule de gomme !

Ca tue : c’est super hyper trop bon !

AC/DC : un groupe de musique de hard rock, pionnier du heavy metal, du métal, quoi, un gros son avec de la guitare très distordue et de la batterie plein pot les manettes. Le volume sonore est maxi. Le ti shirt AC/DC est le plus porté parmi les zicos.

1000x1000Oasis : rock psychédélique, plus tranquille que le précédent.

Un médiator : c’est le petit bout de plastique en forme de goutte qui sert à faire chdoïng sur les cordes de guitare.

LOL, je plussoie : du langage djeuns d’ordi (encore que le LOL apparaisse de plus en plus in the real life). Traduction : qu’est-ce que je me marre alors ! t’as mis un like, j’en mets un aussi (un de plus !)

Dispensation : un soin qui t’est dispensé (genre par un dentiste) si j’ai bien tout pigé.

 


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Faille spatio-temporelle (22)

Lauren Conrad

Lauren Conrad

La saison douce amère des examens est passée, on a à nouveau le pied à l’étrier. Avec moins d’entrain. Ça recommence un peu mou, un coup de l’hiver, du froid, de la fatigue.

Les mêmes, mais dans des matières différentes.

Avec les « moyens » (je veux dire les étudiants de deuxième année) avec lesquels j’ai eu un peu de mal*, je démarre un nouveau cours – en option pour eux – la pédagogie.

Mon propos n’est pas de leur enseigner quoi que ce soit de précis de ce vaste sujet, mais de les amener à réfléchir et à faire des choix. Ils se destinent à exercer un métier dans une société dans laquelle le collège est un volcan, et le service public sinistré. On va leur demander de relayer l’idéologie dominante, et j’essaie de les amener à se positionner sur les questions philosophiques, politiques (au sens large), sociologiques et psychologiques qui détermineront la façon dont ils y répondront et se poseront en tant qu’adulte agissant, sujet réfléchissant et non servile.

Pour moi, un prof, c’est quelqu’un qui est d’abord capable de résister à un monde aux valeurs exclusivement marchandes pour en proposer d’autres, en se situant radicalement du côté de l’humain (enfin, je vous la fais à la louche). Pour ça, je ne fais pas cours à proprement parler, mais je leur propose des situations collectives (débats, dynamique de groupe, réflexion sur documents…) qui les amènent à reconsidérer leurs idées toutes faites sur la question, et à commencer à avancer sur leur propre chemin.

Autant dire que ce n’est pas totalement gagné d’avance. Jamais. Et cette année, je le sens mal. Mais je vais positiver comme une bête !

Et alors… ça va ?

Comme répondait un collègue à qui je posais cette question : « mieux friserait l’indécence ! »

Je vais au petit coin (riant endroit au sein de l’établissement d’excellence dans lequel je tente de professer – jamais de papier, sol humide et douteux, chasse au fonctionnement aléatoire… le quotidien d’une fac, quoi !) avant mon entrée dans la fosse aux lions (c’est une blague, ils ne sont pas féroces) et me prends à fixer un graffiti (franco-anglais ?) déposé par une main anonyme sur un des murs :

« Désoler de brisé ton rave idilique ».

Quelqu’un a barré « rave » et écrit « rève » à la place. Un puriste de la langue, sans doute.

Je médite à propos de ce qui a bien pu briser le mien, tout en remarquant l’emploi recherché du verbe. Dans ce lieu, c’est « péter ton rêve » qui serait d’ordinaire plutôt employé.

Allez, on se motive, on y va.

lagon des sirènes (Tokyo Disney Sea)

lagon des sirènes (Tokyo Disney Sea)

Ils sont 25 à avoir choisi l’option. Pas forcément 25 qui deviendront tous profs, mais en principe, 25 qui tendent vers ça. Parmi eux, Pauline the best, la fille des « feux de l’amour » et son bien-aimé Y « l’inoubliable », le garçon lymphatique qui aime Téfal (compositeur espagnol bien connu), P. le swag à la console, T., l’homme aux crayons Ikea, son copain M. et un autre de ses potes (celui du loto-suggestion), mais aussi d’autres que vous ne connaissez pas encore.

La fille au tutu a choisi une autre filière. Dommage, elle est quand même très gentille et enthousiaste. Elle en trouve toujours une pour m’étonner. Il en faut des comme ça**.

Je démarre par quelque chose qui est toujours très intéressant – pour eux et pour moi : un tour de table dans lequel je leur demande de raconter à tout le monde leur meilleur souvenir scolaire, et, dans un deuxième tour, leur pire souvenir.

Le bon souvenir est d’ordinaire une sortie scolaire, un prof gentil qui a marqué, une réussite au bac que l’on croyait louper. Cette année, pour la première fois, changement de ton.

Plusieurs racontent – avec des têtes à qui on donnerait le bon dieu sans confession – des actes délictueux qu’ils ont commis au collège ou au lycée (bouchage de serrure, destruction de matériel scolaire, dégradation de bâtiment) sans se faire prendre, et ça les amuse visiblement, comme une nécessaire vengeance impunie.

C’est assez étonnant : ces étudiants qui se destinent à devenir partie prenante de l’école et qui commencent leur parcours en expliquant combien ils ont aimé la démolir. Ça va changer la donne : avant les profs se recrutaient essentiellement parmi les bons élèves sages. Qui sait ce que cela peut modifier ?

Un autre, assez timide, très calme, se lance dans une histoire : en 4ème, il a eu une prof qui est partie à la retraite à la fin de l’année, il décrit rapidement la fête d’adieu, les cadeaux et raconte que l’enseignante, devant cette fête, s’est mise à pleurer, prise d’émotion. Et son bon souvenir est là, justement dans cette enseignante qui pleure.

La règle que j’ai donnée sur ce tour est qu’on ne commente pas ce que les gens choisissent de raconter.

Je m’autorise à la rompre : « en quoi est-ce un bon souvenir ? »

La réponse est immédiate : « parce que c’est la seule fois où j’ai eu la sensation d’avoir affaire à quelqu’un d’humain, puisqu’elle était capable de pleurer ».

Je n’ai pas le temps de me demander quelle conclusion tirer de son histoire que le deuxième tour commence, celui des mauvais souvenirs.

D’ordinaire, depuis des années, il s’agit d’injustices, de punitions, de profs maladroits ou sadiques.

Cette année, nouveau changement : la plupart des récits sont des récits de violence à l’école ; harcèlements, racket, humiliations, qui, pour certains, se sont échelonnés sur des années…

Nul doute que ces jeunes n’ont pas eu, en rien, une enfance semblable à la nôtre.

Une fois la classe prise en main par cette entrée en matière, qui permet aussi à chacun de prendre d’emblée une place dans le groupe (personnelle et chaleureuse – il y a des rires, de l’attention, des sourires, et certains s’expriment pour la première fois devant les autres), je fais un nouveau tour de table, précédé de quelques minutes de réflexion, en leur demandant de communiquer aux autres une ou deux questions qu’ils se sont toujours posées à propos d’éducation (ou de l’école, ou du métier de prof, ou…).

Cette façon de commencer me permet de les laisser choisir un premier sujet sur lesquels je vais rebondir pour faire émerger leurs représentations pour, ensuite, les faire travailler et réfléchir à la fois sur le sujet et sur l’idée qu’ils s’en font.

D’habitude, ça fuse : avec beaucoup de questions portant le plus souvent sur l’autorité (grosse angoisse du futur prof), le statut de prof, les méthodes…

Et là, pour moi, du jamais vu ! (c’est l’année des premières fois, ça a commencé comme ça et ça continue).

Sur 25 étudiants (et malgré mon insistance), 12 déclarent ne se poser aucune question.

– AUCUNE ?

J’en tombe des nues (pouf, toc, elle tombe, dirait Bobby Lapointe).

– Aucune ? je redemande avec plus de douceur.

– Aucune, niet niet cacahuettes, rien du tout, nichts, not at all, qu’ils me répondent.

– Mais vous comptez faire profs et vous ne vous demandez rien sur ce métier ?

– Non, rien de rien.

– Vous êtes certains de ne pas vous êtes trompés de filière ?

– Non, m’dame, on vous assure, on veut faire prof.

– Mais, mais (j’en bredouille), être prof, c’est se poser des questions, entre autres.

– Ben non, m’dame, un prof, ça « sait ».

648x415_illustration-pompiersJe lâche l’affaire pour le moment, et continue le tour, jusqu’à un qui a une question.

Ah, ouf ! C’est T. (sans ses crayons Ikéa, qu’il a rangés depuis ma précédente sortie).

– Moi, m’dame, j’ai entendu dire qu’on n’avait plus le droit d’utiliser des notes avec les enfants.

(Je ne sais pas si vous avez suivi l’affaire, mais le ministère de l’éduc nat a parlé de les supprimer avant de faire marche arrière. Je le précise).

– Non, m’dame, je ne parle pas de notes en chiffres, mais des notes de musique. Il paraît qu’on ne peut plus faire de solfège, si vous voulez.

Je le regarde : il est sérieux et assez véhément.

Je lui demande où il a vu ça, il me parle du dessin qui a circulé sur internet, montrant un prof de musique devant un tableau sans portée.

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– Mais c’était une blague, ça ! un détournement rigolo du projet de loi qui n’avait rien à voir avec la musique.

– Non, m’dame, c’était sérieux !

Trois autres viennent à sa rescousse, pour appuyer ses dires et me faire prendre conscience de ma légèreté.

J’ai toutes les peines du monde à leur expliquer qu’il y a beaucoup de choses qui circulent sur internet (à commencer par le site Gorafi, par exemple) et qu’il faut toujours se demander si c’est du lard ou du cochon, et passer les infos au crible de l’esprit critique (ou de la vérification). Je vois bien qu’ils me regardent d’un air un peu dubitatif.

L’un d’eux hasarde que, si c’est écrit sur le net, c’est vrai. J’assure avec toute la force de conviction dont je suis capable qu’aucun rond-de-cuir n’aura l’idée d’une atteinte pareille, et qu’ils peuvent avancer vers l’avenir d’un pas tranquille sur ce sujet-là.

Aïe, trop tard, j’ai dit « rond-de-cuir ».

Mais quelle nouille ! Va-t-en t’expliquer après un faux-pas de ce genre.

Je vois leur regard : un rond de cuir avec des idées, c’est quoi encore, ce truc à la noix ? trop chelou, la prof !

– autre question ?

– oui, moi ! pourquoi les profs ne font pas réussir tout le monde ?

S’ensuit un début de débat entre eux, un peu mou, aucun argument n’arrivant à l’emporter.

– vous m’dame, vous en pensez quoi ?

– eh bien moi, les zenfants, j’en pense qu’il y a des orientations générales qui échappent aux profs, et qu’on n’est pas là, en fait, pour faire réussir tout le monde.

– hein, quoi ?

– euh, vous ne voulez quand même pas dire qu’on est là pour faire échouer des élèves ?

– oui, c’est ce que j’ai dit, en quelque sorte : le prof ne décide pas, par exemple, que 80 pour cent des élèves auront le bac et donc, 20 pour cent, non.

Un murmure enfle dans la classe ! quand même, cette prof, elle a vraiment de drôles d’idées.

Ma crédibilité en a pris un sale coup sur le nez.

Un étudiant prend la parole pour me sauver. Elle a raison, la prof, on ne peut pas donner le bac à ceux qui sont trop mauvais en orthographe, par exemple.

Là, d’une petite voix douce, je signale qu’ils ne sont pas tous totalement au top de ce côté-là, ce qui ne les empêche pas d’être intelligents, ni d’avoir eu leur bac, ni d’être dans une fac de lettres (c’est la promo des cordes sans archers and so on, je vous rappelle).

Je rajoute que depuis des années, question orthographe, ce n’est pas leur faute, mais c’est un peu la Bérézina.

Regard glauque des foules ! la Bérézina, c’est quoi ce truc ?

On continue à discuter un peu. Dès que j’énonce quelque chose qui peut avoir l’air « négatif », ils ne me croient pas.En revanche, ils s’obstinent dans une vision du monde comme exclusivement beau et bon. Comme déclarait Will Self dans un entretien lu hier sur Télérama, il existe « plein de gens qui croient que le monde est tel qu’ils le perçoivent ». Mes étudiants me paraissent de ce bois-là.

leandro erlich

Leandro Erlich

J’ai peu à peu la sensation de quelque chose très étrange, comme si une paroi de verre invisible les séparait de la réalité du monde, et nous séparait aussi. Comme si, par moments, je leur servais un mauvais récit de science fiction totalement improbable.

Mais me vient à l’idée, devant leur unanime réaction, que c’est moi qui vit dans la SF : peut-être est-ce moi qui pense que le monde est tel que je le perçois. Ou alors, pendant ce cours, possiblement, la terre a dû bouger, une fente s’est ouverte, et j’y ai chuté.

Seule dans une autre dimension temporelle.

Au secours !

Le cours se termine. Étonnamment, ils paraissent plutôt contents de la séance.

Lorsque je sors, une cloison a été montée pour nous isoler partiellement des travaux du campus. Sur cette cloison a déjà fleuri un tag : Zad partout.

Zone À Défendre…

Oui… Faudrait savoir où et quoi exactement. (et si c’était moi, la zone en question ? l’inscription est quand même à 15 mètres de ma salle seulement)

 

©Bleufushia

©Bleufushia

©Bleufushia

*cf. https://bleufushia.wordpress.com/2014/12/22/lombre-dun-doute-18/

** si vous ne les connaissez pas, c’est que vous avez loupé les épisodes précédents ! vous pouvez encore vous rattraper !


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Décal’âge – le récit désabusé d’Ana Cro (21)

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Tutti frutti girl (Cristina Otero)

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais on est rarement de la même génération que ceux qui ont 40 ans de moins que vous.
C’est une conclusion qui fait son chemin petit à petit dans ma caboche, à observer le microcosme qui évolue sous mes yeux dans le cadre de mon boulot.
Évidemment, vu de mon bout de lorgnette de vieille croûtonne, j’ai tendance à penser que c’était (souvent) mieux avant, et qu’on n’est définitivement pas sérieux quand on a 17 ans.
Mais en fait, ce n’est pas réellement ça la question : c’est plutôt que c’était différent, et plus simple autrefois.
Si je prends la musique, ben, d’un côté, il y avait les musiques savantes, de l’autre, les musiques populaires chics (avec différentes sous-catégories).
Puis se sont rajoutées des variantes, style rock / pop.

Là, on suivait encore fastoche.
Ensuite est venue l’ère des mixités improbables, des branches mutantes… et ça a commencé à devenir sacrément compliqué (quand on a un travail de transmission et d’éducation à faire dans ce domaine-là, j’entends) : entre le rock choucroute (Krautrock) et le Death rock, le post hardcore et le gipsy punk, et j’en passe, y a de quoi se faire des cheveux.
Maintenant, c’est, de plus en plus, un gigantesque méli-mélo, une salade de fruits (jolie jolie jolie), un tutti frutti intégral, dans lequel me semble percer cependant une tendance nouvelle qui éclipse en partie les autres (et me laisse, au passage, un peu pantoise).
Mais à bien y regarder, peut-être que ça a un rapport avec le « nintendocore » … et que, simplement, je ne l’avais pas vu venir.

Mais que je vous narre quelques instants volés au quotidien, pour que vous compreniez ce dont je subodore l’avènement (j’ai employé il y a deux jours le verbe subodorer avec le gars du fond, celui qui a un ti shirt Nirvana et un pantalon de jogging trois bandes, il m’a regardé comme si j’étais une martienne – d’ailleurs, je suis de plus en plus amenée à un boulot de traduction martien / français, et je commence à m’y habituer).
A bien le regarder, d’ailleurs, ce verbe, je me dis qu’il est quand même bizarre (l’aurait pas l’étymologie un poil bâtarde, celui-là aussi? – « Sous l’odeur » la plage ?)
Bon, je verrai ça une autre fois. J’arrête de digresser.

♣ C’est la pause entre deux cours. Je suis dans ma salle, les jeunes sont sortis dans le couloir, et je prête une attention flottante aux bouts de conversation que je capte.
– Tu viendrais pas chez moi samedi ? Y a Jules qui est revenu des States. Tu verrais, il est taille de trop swag !
– Non, je ne suis pas libre.
– Ah bon, qu’est-ce que tu fais ?
– Je joue à la console.
– Tu joues avec des potes ?
– Non, je joue tout seul.
J’ai reconnu la voix de P.
Je sais qu’il est un peu plus âgé que la moyenne des étudiants.
Il va avoir 27 ans dans un mois, je le vérifie sur le listing que j’ai par hasard sous les yeux. Je m’étonne, recompte. Oui, c’est ça, 27 ans.
Il y a quelques années, un sketch des Guignols avait popularisé le « j’peux pas, j’ai piscine ».
Mais le sport, le vrai, a depuis été remplacé par la wii, et je constate que maintenant, on dirait plutôt : « j’peux pas, j’ai console ».

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P. aussi est swag (je frime, parce que je suis allée chercher sur la toile ce que veut dire ce mot que je n’avais jamais entendu avant, et que même pas je vais partager avec vous ! Le parler djeuns, ça se mérite, non mais !)
Mais 27 ans, quand même, c’est pas un peu un âge périmé pour la console ? 
Ben non, j’en ai discuté avec eux, pour m’apercevoir que c’est le centre de leur vie à tous (du moins les spécimen mâles), mon échantillon allant jusqu’à 33 ans.
La console comme jeu, pourquoi pas… faut savoir rester jeune !

_origin_SWAG-12♣ Un autre jour, je passe une musique aux moyens.

Du jazz swing (la musique de leurs ancêtres – leurs ancêtres les gaulois ? – ouais, peut-être, enfin, on sait pas!).
Il faut vous dire qu’ils ont eu un cours d’histoire du jazz au premier semestre. Donc, ils baignent là-dedans comme des poissons dans l’eau.
Enfin, ils devraient, mais pour tout dire, le collègue qui leur délivre ce cours était un peu démoralisé au sortir de l’examen, par l’approximation de ce qui avait été compris et retenu. Il a fait une petite compilation des copies qu’il a lues (et il m’a autorisé à la publier ici).

Jugez vous-mêmes :
Avant 1917 (année de « fermetude » de « Port Saint-Louis du Rhône »), les « esclaves chantaient gaiement leur tristesse » et leur « liberté de penser librement » au « Congo square qui devient un port » à cette date. Après la « crise de 28 », les « orchestres de plusieurs musiciens » jouent « l’accompagnation » avec des « violent » et « ossi » des trompettistes comme « Dizzy Grilebsy » faisant preuve « d’animalité des souffles au vent », ce qui n’est pas sans rappeler un « procedet » du « ragtime, ce chant religieux » responsorial bien connu, « ce qu’on appelle des appelles ».

Bon, c’est pas totalement gagné ! Donc, je leur passe du jazz.
Là, je vois se dessiner un large sourire sur le visage de la fille au tutu.
– M’dame, elle est super, cette musique, ça me rappelle TROP Oggy et les Cafards !

Devant mon regard interrogatif, elle évoque avec enthousiasme un dessin animé de son enfance.
Mes enfants sont un peu plus vieux, et du coup, ma culture date : j’étais imbattable sur Goldorak (go !) ou Capitaine Flam (tu n’es pas de notre galaxiiiie, mais du fond de la nuiiiit), mais là, je cale. J’avoue mon ignorance.
Elle est toujours aussi gentille, et partageuse (elle trouve que l’éducation, c’est dans les deux sens, et elle a bien raison !) et elle veut me faire découvrir sa référence musicale. Elle dégaine son portable («attendez, j’ai la 4G, m’dame »), tapote, trouve le youTube qu’elle cherche, et fait écouter à tous le résultat.
Sa voisine (Pauline the best) écoute avec attention, mais s’écrie en plein milieu :
– Arghh, mais c’est pas la vraie version ! L’interprétation est nulle !
La fille au tutu ne s’attendait pas à ce coup en traître, elle est déconfite, elle rougit, bafouille que si, l’autre maintient que non.
Devant cette querelle esthétique inattendue, dans laquelle je ne peux apporter mon soutien à aucun des deux camps, je remercie pour la découverte (même dans une interprétation qui laisse à désirer) et je suggère qu’on revienne à la musique que je leur passais… l’épisode « cafardeux » est clos. J’ai du mal à ne pas sourire intérieurement.

C’est de plus en plus fréquent que les étudiants me citent des musiques de dessins animés, de pubs, des génériques télés, en association avec ce que je leur fais écouter.
Là où, il y a quelques années, les rapprochements étaient mozartiens, beethoveniens, schubertiens, là où les comparaisons mettaient en avant Ravel, Stravinski ou John Cage, j’ai droit maintenant, dans 95 pour cent des cas, à « ça me rappelle Star Wars (pour les plus vieux d’entre eux), ou Game of Thrones, Zelda, ou Final Fantasy ». Quand ce n’est pas La bicyclette excitée (Excitebike, pour les incultes).

Botticelli muppets (pas réussi à trouver le nom de l'artiste)

Botticelli / Muppets

On en est, il me semble, à la console comme ultime référent culturel. Et là, je me fais encore plus de cheveux que lorsque j’ai découvert l’existence du rock wagnérien.

♣ Dans la lignée de cette remarque, j’ai fait partie au mois de janvier du jury de l’épreuve instrumentale.
Les étudiants doivent jouer d’un instrument, et, si nous ne dispensons pas de cours d’instrument, nous testons chaque année leur degré de pratique.
Libre à eux de choisir l’oeuvre qu’ils veulent présenter, dans n’importe quel style. La seule contrainte est qu’outre nous la jouer, ils nous la présentent (sur un plan « musicologique », même flasque !), ainsi que les raisons de leur choix.
Depuis des années, au répertoire classique, jazz et parfois traditionnel se sont rajoutées, les publics évoluant, de plus en plus, des variantes de rock (metal, funk, noise et autre).
Cette année, j’ai eu la surprise de voir les « répertoires savants » réduits à peau de chagrin, et non seulement l’émergence de choix nouveaux, jamais entendus avant  – une épidémie d’extraits de musique de jeux vidéos – mais leur domination sur tout autre type de musique.
Les raisons invoquées étaient : « c’est joli et ça me rappelle trop la scène où le prince combat le méchant ».
La présentation « musicologique » était d’une flasquitude à l’assortie.

On a quand même réussi à savoir que les « effets sonores vidéoludiques », c’était le top. Et qu’ils n’avaient pas choisi du « screamo » (traduisez, une musique faite à base de hurlements), ce dont les jeunes se doutaient que ça pouvait déplaire à notre bande de racornis de la portugaise.
Sont trop gentils, ces jeunes…

Ça me rappelle que j’ai employé cette semaine, pour les besoins d’une explication, le terme « anachronique » : encéphalogramme plat en face. Personne n’avait l’air de comprendre ce mot compliqué. Un peu fatiguée à ce moment-là, j’ai donné un exemple : « La Joconde avec une montre, c’est anachronique ».
– Mais la Joconde a pas de montre, m’dame ! (encore Pauline)
– Ben, oui, justement…

bach_shades

Bach

Ben pour tout vous dire, mon diagnostic est que mes oreilles ont viré total anachronique : j’ai remarqué que, quand j’entends Oggy et les Cafards, je pense à Count Basie.
Vous croyez que c’est grave, docteur ?

©Bleufushia

PS si quelqu’un possède la version originale de Oggy et les Cafards, merci de bien vouloir me la communiquer


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Songe d’une nuit d’hiver (20)

Kenojuak Asjevak (artiste inuit)

Kenojuak Asjevak (artiste inuit)

Hier soir, avant de me coucher, j’ai corrigé le dossier de Pélagie.
C’est une de mes étudiantes. Je ne vous en ai pas encore parlé.
Bien sûr, elle ne s’appelle pas Pélagie, mais « J’peux pourtant pas l’appeler Hortense / Et puis ça n’a pas d’importance*».

Le dossier en question est un travail d’élaboration d’un projet pédagogique original  (avec réflexion préalable, analyse de documentation, exposé de stratégies, choix de démarche, de contenu…) ; bref, c’est du lourd, et ça demande de cogiter beaucoup et bien. Le sujet du dossier, c’est l’écoute de la musique : quel auditeur veut-on former, pourquoi, comment on peut s’y prendre avec des ados – qui posent, à ce sujet, des problèmes que ne poseraient pas forcément d’autres tranches d’âge, comment peut-on subodorer qu’ils écoutent quand ils sont libres de le faire, et à partir de là, par quelle feinte peut-on espérer franchir la barrière étanche qu’ils érigent entre LEUR musique et les autres ?.
Le travail de Pélagie, lui, est totalement hors sujet (elle raconte des exemples de profs qui ont réussi à lui faire écouter quelque chose en classe, alors qu’elle ne parvenait jamais à se concentrer – pas de la musique, mais simplement eux – et se limite à cela) et il est écrit dans un français fort difficile (syntaxe défectueuse, orthographe calamiteuse – du style : «…ce que vous leurs avaient apprit »).

La réflexion y est à la fois enfantine, pleine de bons sentiments et extrêmement naïve. Mais surtout, à côté de la plaque, complètement !
Pourtant, je sais qu’elle a à cœur de faire de son mieux. Elle a des qualités, par ailleurs, elle est persévérante, toujours souriante et de bonne humeur, sérieuse, appliquée, volontaire, pas découragée par ses erreurs, extrêmement gentille et polie.
Mais comme elle le dit elle-même : « Je préfère les mises en pratique que de faire des cours théorique car je décroche sur les chosent niveau concentration » (nb. Les fautes, c’est elle, pas moi !).
Manque de bol, un dossier de réflexion, c’est un poil théorique, et là, ça devient tout de suite ardu de chez balaise, grave dur, quoi.
Ma lecture s’est faite entre fou-rire et consternation : il y a des perles à chaque paragraphe.

Dans le dossier, elle choisit de se remémorer son enfance, et les chansons qu’elle a apprises petite.
Comme « Trois esquimos autour d’un bras zéro… », par exemple.

IMG_2885Pélagie est du genre à ne pas se questionner outre mesure et le bras zéro l’a visiblement laissée imperturbable… Elle précise un peu plus loin qu’elle n’a jamais rien compris à cette chanson, mais que ça la fait rire.
Perso, moi, ça me donne à réfléchir : un bras zéro, est-ce une double métonymie (« le bras » représentant à la fois l’homme et les deux bras – comme dans les soldes : deux pour le prix d’un ?) ? Et est-ce bien d’un homme qu’il s’agit ?
Oui, mais, pourriez-vous m’opposer, si c’était un ours dont les eskimos achevaient la dégustation, on nous parlerait d’une patte. Bien vu !
Et comment s’est-il transformé en néant, ce bras ? Et pourquoi, pourquoi ne nous a-t-on rien dit ? hein ?
Et les trois eskimos, à part être « autour », franchement, qu’est-ce qu’ils fichent là ?
Cette histoire, nous dit la chanson, se passe en « Alaska, watchi wat-chi wawa », qui n’est pas le pays des manchots à ce que je sache (ni des chihuahuas ?).
Le mystère reste entier, épais, vierge, à défricher (ou déchiffrer ?).
Peut-être un jour écrirai-je un polar pour résoudre l’affaire. Quand je serai à la retraite, par exemple.

Un peu plus loin, j’ai appris que lorsqu’un enfant chante, « la justesse n’est pas toujours fausse ».
Et là, je vous demande que faire : si la justesse se met régulièrement à être fausse (si elle n’est pas « toujours » fausse, c’est qu’il lui arrive de l’être, vous êtes d’accord avec moi ?), comment s’y retrouver ?
A une époque où, tout d’un coup, l’objet de l’éducation devient d’inculquer des valeurs à tout prix (avec un peu d’efficacité, messieurs et mesdames les enseignants, et qu’ça saute !), comment faire si tout se met à lentement glisser « par rapport au dispositionnement de d’habitude ». Imaginons un « bien qui ne serait pas toujours mal », par exemple. Avouez que ça file vite le vertige !

IMG_2887

Cette nuit, après cela, j’ai rêvé de Pélagie.
Que je vous dise, je l’appelle ainsi en secret, parce qu’elle a de longs cheveux, une silhouette à la démarche fluide, de très grandes jambes qu’elle est loin de cacher, que je sais qu’elle est née près de la mer, et que ses yeux me rappellent les yeux aperçus dans une mosaïque d’une sculpteuse grecque qui porte justement ce prénom : Pelagia Angelopoulou. Et aussi parce qu’elle écrit toujours « thon, demi-thon et barython ».

Pelagia Angelopoulou (Demeter)

Pelagia Angelopoulou (Demeter)

Plus personne ne s’appelle Pélagie de nos jours. Chez nous du moins. Faut dire que c’était le surnom de Vénus, et ce n’est pas franchement facile à porter.
Dans mon rêve, elle jaillissait de l’écume, et elle débarquait directos sur la banquise. Les eskimos l’accueillaient en chantant (justement faux, ou faussement juste, je ne parvenais pas à le savoir). Le bras zéro avait disparu et il faisait froid. Normal, c’est quand même la banquise. Elle frissonnait. Je lui demandais comment elle allait se dispositionner maintenant. Devant cette question, elle replongeait en silence dans l’eau glacée. Je voyais sa chevelure flotter dans l’eau, et peut-être à cause de ça, j’ai eu l’image d’une vellèle, vous savez, ce drôle d’organisme marin, très beau, qui fait partie de ce que l’on appelle la « flotte bleue » (c’est à cause de ça que je connais son existence), formé d’une coquille plate et d’une voile. Et l’impression qu’elle se laissait dériver.

640px-Velella_Bae_an_AnaonEn repensant à elle au réveil, j’ai eu besoin de vérifier ce à quoi correspondait exactement l’adjectif pélagique – que j’associais à « haute mer », sans que cela soit plus précis dans ma tête, et j’avoue que j’ai eu des surprises.
Le pélagos (à ne pas confondre avec la « pelle du gosse »**) est formé du necton et du plancton.
Ah, ça vous en bouche une superficie !
Vous allez tout de suite vous demander si le thon est du necton ?

La réponse est oui, le necton, c’est ce qui est capable de nager et de se déplacer. Le plancton, c’est tout le reste.
Au passage, moi qui entretiens une vieille et coriace inimitié avec les méduses (ne me dites pas que c’est beau ou je hurle !), j’étais secrètement ravie, avec un ricanement intérieur de mépris, qu’elles n’appartiennent qu’au plancton. Et chtoc !

Je me demande si Pélagie saurait écrire plancton, sans le confondre avec le planton, et sans rajouter de « h »… sur le dernier élément, je crois que oui, parce que le « thon », c’est bien connu (de Pélagie, mais aussi d’autres), c’est en musique, quand même, pas dans le domaine maritime ! Pas confondre, siouplaît !
Tiens, à propos, vous saviez qu’on appelle aussi planton (de coupée) un matelot mis à la disposition des visiteurs lorsque la visite à bord est autorisée.
Comme quoi le planton peut voisiner le plancton, tranquillou et en bonne intelligence.
Sur ce, je vous abandonne, j’ai encore quelques dossiers à corriger.

Il fait froid, je  songe à allumer mon brasero !

©Bleufushia

Rajout à mon post : une collègue bien aimée (merci, Elena) réagissant à la lecture de mon songe, m’a transmis une contribution, une « missive de Pélagie », que je ne résiste pas à vous communiquer ici.

« Pour l’écoute au sens propre, vous me conseillez d’ acheter des co-thons tige, madame? Merci. Pélagie »

* extrait de « Bobo Léon » de Bobby Lapointe
** merci, Pierre


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Petite fricassée de notes (19)

copies

Petit montage moqueur du jour (après le turc tel qu’on le parle – pour ceux qui suivent -, la musicologie en direct live !) ©Bleufushia

– Vous qui avez entendu ce qu’ils en disent, racontez ! Qu’avez-vous compris ?

– C’est une affaire un peu obscure. Je vais essayer de vous raconter.

Pour le cadre, l’histoire semble se dérouler à la montagne.

L’ambiance, un peu bizarre, conduit à se demander s’il s’agit d’un lieu de sorcellerie ou de l’endroit rêvé pour un « compte de fée » ? Nul ne le sait.

Cela semble se passer lors d’une fête. Il y a du monde et de l’agitation.

La « populasse » se livre à un « ballet de danse » (qu’il est bon qu’un ballet soit dansé, finalement…), dans un lieu particulier, à côté du « Lac des Signes » (c’est cela qui me fait penser à la sorcellerie), sur un air « lansinan » qui met les gens en « trans ». Lorsque le rythme « se ressert » (et une petite bouchée, pour maman), l’« exacerbération des foules est épic » (et pic et colegram).

Ceux qui m’en ont parlé m’ont signalé que le morceau était tout de même assez étrange. Ils l’ont défini comme une musique « mensuraliste », composée de « parties distinguées » – pas comme dans le cochon, j’imagine, où l’on croise des morceaux de choix, nobles, au côté de pièces plus vulgaires -, d’un « chœur parfois mutique » dont « l’ambitus, cependant, explose ». Lorsqu’il n’est pas mutique, les voix y sont « crémeuses ».

Comment, vous trouvez étrange de comparer de la musique à un cochon ? C’est simplement que dans la musique aussi, tout est bon !

En tout cas, « tanto » la musique est « sollanel », « tanto » elle est très « exprème », « tanto », encore, elle est « saccadée de nuances ». Dans tous les cas, elle semble à « contrenploit ».

Il y a de la trompette, mais les gens sont formels, il ne s’agit nullement du célèbre morceau « Trompétunia », dont la version « réorchestrée pour piano » est cependant connue de tous. Non, là, c’est vraiment autre chose.

– Bon, à part cette musique bizarre, tout semble quand même assez simple : une fête populaire à la montagne. Quoi d’autre ? Avez-vous glané d’autres détails ?

– C’est, en fait, à partir de là que les choses se compliquent. Il est question « d’archers » – peut-être, en plus d’être un bal, c’est aussi l’occasion d’une compétition de tir à l’arc, mais la météo semble hélas peu favorable.

– Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

– Quelqu’un m’a dit que « les cordes se placent en retrait par rapport au vent ». Pour ne pas, sans doute, que le vent infléchisse la course imparable de la flèche vers le but.

Un autre m’a parlé de « cordes sans archer », comme si les arcs volaient tout seuls, de façon autonome.

– Etrange phénomène, en effet. Et ces archers, que pouvez-vous m’en dire ?

– Eh bien, ils semblent tous avoir des problèmes de cœur, j’ignore s’ils sont cardiaques ou froids comme des pierres, question sentiments.

J’ai entendu dire que le « cœur des hommes », par moments, « était laissé de côté » pour cause d’interruption due au « vent », ou encore, il a été fait mention de « cœur mixte », accompagné de « cordes sans archer ».

– Un cœur mixte ? comme dans les mariages du même nom ?

– Je ne peux rien vous dire de plus à ce sujet.

– Et en conclusion ?

– Ce qui m’a été dit est que « tout se termine dans une finalité ».

S’annonce alors «la venue des cieux qui permettent de calmer les tempêtes sur terres »

– Sur « terres » ? Ah, je vois, une histoire de mondes parallèles !

©Bleufushia

NB 1. Ce petit amusement sans trop de sens et, je le reconnais, assez peu abouti, qui se termine en tête à queue, est né d’un certain délire qui s’est formé dans ma tête fatiguée à la lecture de copies utilisant l’orthographe d’une façon peu orthodoxe (comme si les mots étaient interchangeables et que rien ne pouvait modifier le sens du mot entendu).

Comme je n’ai rien publié encore en 2015 (pour cause d’immersion dans les examens où ont été produites ces merveilleuses copies), voilà une petite mise en jambes sans prétention. Mes étudiants se lancent, à l’écoute d’une musique qu’ils doivent commenter, dans des fantaisies qui me réjouissent parfois, manient les images d’une façon qui frise souvent la poésie surréaliste, me conduisent à des associations absurdes, et à des films persos, en marge du travail : ce texte/exutoire est un mélange des pistes où leurs écrits m’ont amenée.

Les mots entre guillemets ont été prélevés, parmi d’autres, au milieu de copies. Vous aurez reconnu les chœurs, les archets des cordes, la famille des vents, et j’en passe. Je précise au passage que, évidemment et de façon totalement partiale, je n’ai choisi que des extraits de copies à l’orthographe flageolante, dont le contenu me faisait sourire… Il en est d’autres excellentes – et c’est heureux – qui, seulement, forcent l’admiration. Celles-là, vous n’y avez pas droit !

Le morceau sur lequel ils devaient plancher était en deux parties enchaînées, un choeur (que voilà – vous y remarquerez la présence des archers cardiaques) et une description musicale hollywoodienne de l’atterrissage de l’avion de Nixon (là où le « cœur devient mutique » et où les commentaires dont je me suis servie fleurissent…cette partie-là n’est pas présente dans l’extrait, mais elle vaut son pesant de cacahouètes et se prête bien aux délires interprétatifs).

Il s’agit du début de l’opéra de John Adams : Nixon en Chine

NB 2. Le morceau que j’ai fait analyser n’était donc pas une fricassée, contrairement au titre que je donne à ce petit rien du tout tout bleu que vous venez de lire.

Vous saviez sans doute qu’il existe des fricassées en danse !

Elles sont définies ici comme « des contredanses très polissonnes », là comme une lutte entre l’été et l’hiver (à ce propos, moi, je suis dans le camp de l’été, et comme on y va de ce pas, braves gens, je m’en réjouis fortement).

Vous ne voyez pas le rapport ? Moi non plus !

Mais saviez-vous que c’était également un terme musical ?

Il s’agit d’une musique en coq-à-l’âne, formée de fragments sans suite (comme mon petit texte !), un quolibet (de « quod libet », ce qui te plaît), une sorte de collage musical à partir de thèmes empruntés encore pratiqué au XVIIème siècle

(écoutez, si cela vous chante, la version de la petite musique de nuit de Mozart par Peter Schikele, plus récente encore).

Si vous désirez vous essayer à la confection d’une fricassée en bonne et due forme, en voici la recette, prise sur le site nonpapa.free.fr

Recette de la fricassée

1. Choisissez une chanson célèbre, le plus souvent à 4 voix ; Extrayez entièrement l’une des voix ; Arrangez à votre goût

2. Découpez finement entre 50 et 100 chansons ; Sélectionnez les meilleurs morceaux, en général le début ou le plus grivois ; Mélangez le tout en assaisonnant de science de contrepoint et d’humour ; Répartissez les morceaux entre les voix de la polyphonie (de 2 à 4)

3. Superposez la préparation obtenue à la chanson célèbre ; Vous obtenez une œuvre musicale en « pots-pourris » simultanés


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L’ombre d’un doute (18)

Yep ! c'est les vacances ! (à la plage, le 21 décembre)  ©Bleufushia

Yep ! c’est les vacances !
(à la plage, le 21 décembre)
©Bleufushia

C’était la dernière semaine avant les vacances.
La fin du premier « semestre » (je ne me suis jamais habituée à ce que les semestres aient trois mois, mais parfois, j’avoue trouver cela plutôt agréable).

Faut vous dire, je ne vous en ai pas causé sur le coup, mais j’ai passé un épisode un peu difficile avec les moyens.

Lassitude. Inappétence totale. Ras la casquette.
Je me suis sentie, tout d’un coup, comme « une truie qui doute ».

Non pas que je me sois transformée, d’un coup, en cochonne (mo)rose, n’ayez crainte. On ne va pas m’exposer au Salon de l’Agriculture non plus, et aucun président ne me flattera la croupe. Ma croupe, je la réserve à d’autres mains, plus douces et tendres.
Non, j’ai juste été atteinte du symptôme que Claude Duneton a décrit, dans le livre éponyme (si j’ose dire ainsi), symptôme qui l’a conduit à quitter le métier de prof.
Mais je n’ai pas été juste frôlée, non, plutôt touchée gravos, d’une « atteinte imprévue aussi bien que mortelle »…

« Une truie, c’est vorace. Ça vous avalerait le diable et son train… Si par hasard un jour elle rechigne, elle se détourne de son baquet, c’est que rien ne va plus. Une truie qui jeûne est une truie malade, elle file un mauvais coton…
Les profs non plus ne manquent pas d’appétit. Nous avons des boulimies tenaces, intellectuelles s’entend. Nous croquons les enfants tout crus… et puis un jour il vient des répugnances. Le malaise, dit-on, nous envahit. C’est que, pour enseigner, il faut avoir la foi. L’une ou l’autre, n’importe laquelle. Une foi qui écarte le doute sur le sens de la profession, Si on la perd, on est foutu.
C’est joli une truie. C’est plein de mamelles. Un prof aussi. Mais je suis comme une truie qui doute, je ne suis plus bon à rien. »
Moi, je ne vais pas arrêter maintenant, c’est trop tard.
Je n’ai pas l’intention de mourir non plus.
Alors, j’ai fait un truc que je n’avais jamais fait auparavant.

C’est sorti comme ça… depuis quelques années, j’ai tendance à m’exprimer lorsque je me sens mal, sans réfléchir outre mesure. Ne pas attendre, comme dit l’autre, d’avoir rempli sa collection de « timbres » pour la montrer, et de ce fait, être capable de la dévoiler sans péter un câble, c’est ce que je m’efforce d’appliquer, de plus en plus.
J’ai déclaré à la classe, tout de go (je ne m’y attendais pas moi-même une minute avant de le faire, je m’apprêtais seulement à faire cours, comme à l’ordinaire), que je n’avais plus envie de jouer avec le modus vivendi en usage jusque là, ni plus aucun désir de leur enseigner quoi que ce soit.

J’ai précisé (et c’est vrai) que je n’ai rien contre eux individuellement, mais que la façon qu’ils ont d’être en groupe, et de se comporter en classe, bien qu’elle me semble un résultat qu’on ne peut pas forcément leur imputer, me fatiguait dru.

Dru, j’ai dit dru, et vu l’incompréhension de certains à entendre cet adjectif incongru et obsolète.
Elle est quand même un peu zarbi, cette prof !
Malgré tout – je ne peux pas me mettre en grève non plus -, je leur ai demandé de réfléchir, en petits groupes, et de proposer des solutions :

– à moi : pour que je puisse tenter de leur enseigner quelque chose plutôt que de pisser dans un Stradivarius semaine après semaine (quelque chose comme un lieu et un dispositif dont nous puissions partager les règles) – solutions que je m’engageais à mettre en oeuvre s’il y en avait

– à eux-mêmes : pour que, par ailleurs, ils « se mettent enfin à faire des études ».
Aucun prof n’a jamais dû leur parler de la sorte, j’imagine, et mon bref discours a dépassé des espérances que je n’avais même pas en le prononçant.
La dernière formulation, entre autres, a fait tilt.
Ils ont pris la chose au sérieux, se sont concertés et concentrés une bonne demi-heure avant de me livrer leurs conclusions et analyses : un dispositif de cours intéressant, et une auto-critique en règle de leur attitude qu’ils ont qualifiée d’infantile, assortie de considérations pertinentes sur la façon dont ils pourraient tendre vers l’adulte, sur leur usage du téléphone portable et à propos de leur façon de communiquer entre eux.
Un début de règles… qui aurait pu le croire ?
J’en ai été scotchée.
note1Depuis, je n’ai pas totalement retrouvé l’appétit, mais l’atmosphère s’est réchauffée, incontestablement.
Ça s’est passé il y a un mois, et depuis, on bosse. Non moins incontestablement.

C’est quand même une nouvelle génération : ils papillonnent, zappent, rigolent, sont « trop cool » (lol, mdr), se cachent derrière des « capuches de ouech », sont un poil hyperactifs… mais ils sont gentils (ils n’ont jamais arrêté de l’être, au demeurant, et je n’ai jamais cessé de les considérer ainsi… c’est juste qu’on n’est pas toujours totalement sur la même planète !).

Mais là, faut comprendre, c’était la dernière semaine, et voir se profiler le repos, ça détend tout le monde.
Le beau gosse des « feux de l’amour » est venu en cours avec un bonnet de père noël qui clignote.

Du coup, j’ai à nouveau ouvert mes grandes oreilles (j’ai utilisé ce qu’un ami, en verve ce jour-là, a appellé mon « oeil de musicienne ») et j’en ai glané quelques unes qui m’ont fait sourire et que je vous fais partager.

Je vous les livre en vrac, petit bouquet de fête.

♥ On écoute du Telemann, un garçon au quatrième rang n’a pas compris le nom du compositeur (je ne l’avais pas écrit au tableau, mon dernier feutre de l’année était nase !).

Un autre, au troisième rang, le lui répète avant que je le fasse :
– C’est du Télémaque, mec !
(je me demande s’il n’a pas trop écouté de Rydan…)

♥ Un rasta qui bute sur le relevé d’un thème de Mozart (franchement, aussi, faire écouter du Mozart à un rasta, je reconnais que j’abuse) :
– Il est trop chelou, ce Mozart !

(l’odeur qui flotte autour de sa personne est aussi relativement cheloue, mais je n’en dis rien… on compare ce qui est comparable, hein. Quoi, si je kiffe Mozart ? ouais, too much !)

♥ Un bon étudiant que je félicite d’une prestation réussie et qui me répond, avec les mots et la voix d’un de mes collègues, une réplique dont j’apprends, après avoir éclaté de rire – l’imitation est parfaite -, que c’est lui qui leur a dit ça :

– Avant, je pateaugeais, maintenant, je suis trop fort !

♥ Un étudiant corse hilare, commentant le fait que son voisin connaisse tout d’un coup les bonnes réponses :

– M’dame, Romain, zavez vu,  il est en feu aujourd’hui !

♥ Un garçon aux allures sages, assis juste derrière le piano, et qui tout d’un coup se délure, à sa voisine (la fille au tutu) :
– Et si je mettais le « la » en antisèche dans le piano, pour l’exam (et il joint le geste à la parole, coinçant un papier sur lequel il a écrit « la » – il a vu que je l’ai entendu, on en rigole ensemble).

♥ Je parle de l’échelle musicale particulière d’un morceau… celui qui dort toujours ouvre un oeil, et témoignant d’un intérêt incroyable et subit pour les mystères de la vie, demande à sa voisine, une petite rousse à grosses lunettes de chat (qui, présentement, a un post it dans les cheveux, le sait et s’en fiche) :

– une échelle ? c’est quoi ?

A quoi elle lui répond, dans une logique qui m’étonne un peu (« elle déchire trop sa mère, l’image »), mais qu’il a l’air de comprendre parfaitement (j’ai vérifié après – les voies de la comprenette sont encore plus impénétrables que celles de l’autre)

– oui, un genre d’escalator, quoi !

♥ Une réplique, captée, sans avoir entendu ce qui a amené le grand timide sérieux du deuxième rang à la prononcer :

– L’essentiel, c’est le loto-suggestion !

(« 19, la St Fada » – le 19, c’est la date du jour ! Quant à la St Fada, allez savoir pourquoi ! – les chiffres « parlés », au loto, ça m’a toujours amusée)

fadacola♥ Un garçon, casquette à l’envers, grosse boucle d’oreille en pointe vert fluo, qui se la joue un peu banlieue, joue quelques notes à son pote sur sa guitare :

– ouech, là, t’entends, je le tchiens, le Tchube ! Bientôt dans les bacs, man !

J’en suis contente pour lui.
Comme je suis contente que les vacances soient là, simples et tranquilles.
– Allez, m’dame, passez de bonnes fêtes. Bisous ! A très bientôt !
Vous aussi, les jeunes… vous aussi… bonnes vacances !

©Bleufushia
PS En rédigeant ce billet, j’ai pris connaissance de la mort de Duneton, il y a déjà deux ans. Cela m’avait échappé et me cause de la peine. J’aimais bien cet homme.


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Poussez mémé vers la sortie (16)

Penceratops

Lili, as Penceratops

J’ai voulu, il y a fort longtemps, travailler dans le service public.
Suivant l’héritage de mon père, « Hussard noir de la République », je me suis engagée dans l’Éducation Nationale prioritairement parce que je croyais à l’éducation pour tous, à la laïcité et j’en passe (et pas à cause du salaire mirobolant et des vacances permanentes).
C’était un choix idéologique et j’y suis restée très attachée, comme à ce qu’on sent comme important, même si le monde alentour s’en détourne de plus en plus.

Je suis un peu bête, je crois. Et « passéiste ». Être fonctionnaire est quelque chose qui a eu du sens pour moi. Longtemps. Encore maintenant.
Je suis attentive, depuis des années, à la lente agonie du service public, agonie que je vis mal, au profit de ce qu’on nous présente comme le « progrès ». 
Le public, je ne sais pas si vous êtes au courant, on m’a dit récemment que c’est une notion totalement has been. Il n’est plus « très beaucoup » public, au demeurant. Dans aucun domaine.

Quant à moi, je fais partie d’une espèce en voie de disparition, le Dinosaurus Professorus Fonctionnarius Fossilus (de la famille des DPFF), responsable, paraît-il, de foutre en l’air le budget de l’université, parce qu’il est « infiniment beaucoup trop » payé et qu’il s’accroche bêtement à son boulot, au lieu de prendre une retraite qu’on lui interdit par ailleurs de prendre.

Ce mal a un nom, récent, c’est le GVT (Glissement Vieillesse Technicité), à ne pas confondre avec le TGV.
Non, nous, les dinos, on n’est pas des rapides, au contraire, on freine l’institution jusqu’à 2018, constituant même un « problème très important », ai-je lu dans le dernier compte-rendu du conseil technique de ma fac. Ça fait toujours plaisir.
Mon espèce est cependant destinée à être remplacée totalement, peu à peu (avec accélération exponentielle du mouvement de remplacement ces dernières années) par du moderne, du privé, du libéral, de l’efficace, de « l’excellent », et du très précaire.
Un certain nombre de têtes de noeud du ministère et des « gouvernances » d’université attendent donc qu’on se casse, qu’on dégage, en tapotant du pied par terre avec l’air un peu agacé.

Du balai, les vioques, surtout ceux qui la ramènent avec leur service public, leurs valeurs à l’ancienne et j’en passe ! Et qui se foutent comme de l’an quarante des critères de productivité…

Plusieurs choses récentes m’ont légèrement tirée de ma (relative) somnolence et donné envie de vous causer un peu de ce qui se passe au-delà des murs douillets de ma classe, celle où se déroule tant bien que mal la vie de Lili Ze Prof.

Parmi celles-ci, la diminution drastique, cette année, de ce qui restait de financement de l’état dans l’université. Et quand je dis drastique, ça l’est !
Exactement en même temps, on nous demande par exemple de créer de nouveaux diplômes « à moyens constants » – si vous suivez un peu ce que je vous raconte, le synonyme (secret) de « moyens constants » est donc « moyens en diminution ». Même s’il n’y a pas vraiment moyen de fonctionner. L’apparence (on a créé un diplôme) est ce qui compte dans la comm’. La réalité, en revanche, on s’en balance un peu.
Ça me rappelle cet étudiant qui me parlait cette semaine d’une musique à « progression montante plate », concept assez étrange si l’on y réfléchit.

Qui m’a remis en mémoire Alphonse Allais et son « sommet de la platitude ».
Ce que l’expérience nous enseigne ici, c’est que toute platitude tend irrésistiblement à descendre. C’est son destin, en quelque sorte.

Alphonse Allais - marche funèbre

Cet Alphonse, quel homme, quand même !

Parallèlement, « on » commence à recenser les formations dans lesquelles il y a moins de 15 étudiants. Parce qu’elles ne sont pas rentables.
Et à prôner qu’on remplace, à relativement court terme, nos cours en direct par des cours informatisés (et de ce fait, facilement délocalisables, partageables, gratuits de surcroît pour l’université qui les diffuse).
On se demande bien par quel hasard toutes ces choses merveilleuses arrivent en même temps, et dans quel but !
Vous ne voyez pas ?
Non ?
Moi, comme tout dinosaure, je me caractérise par mon mauvais esprit.
Mauvaise comme la gale, la vieille…
Et je crois que je vois.

C’est le moment qu’ont choisi des collègues d’autres facs (qui n’ont, étrangement pourtant, pas tous l’air de la même espèce en voie de disparition que moi) pour ouvrir un blog fait d’analyses et de reportages photos sur l’université en ruine (http://universiteenruines.tumblr.com), racontant la grande misère au quotidien de toutes les facs – pas de chauffage, pas d’argent pour réparer le chauffage – locaux vétustes et j’en passe.

Un site instructif s’il en est.

Ça m’a donné envie de verser une petite pierre au dossier.
Mon université est actuellement en travaux. Elle a obtenu de faire partie du Plan Campus, une largesse attribuée par Pécresse, au moment des luttes contre la mise en place de l’université-tout-libéral, aux universités qui avaient « collaboré » en étouffant la contestation.
Faut dire que le bâtiment est en très mauvais état depuis fort longtemps, mais je doute qu’il ait pu obtenir la moindre réparation hors de ce contexte.
A l’époque des grandes grèves contre la LRU (loi qui donnait leur autonomie aux universités), des étudiants de la mienne avaient réalisé en une demi-heure les photos d’un montage dont je vous mets le lien.


Joli, non ?
Mais revenons à nos jours : ce dont je doute aussi (mais ça, c’est la vipère qui réagit ainsi), c’est qu’on réintègre l’intégralité des locaux à la fin des travaux.

Voyez, entre temps, il y aura moins de diplômes, plus d’internet, moins de profs, moins de formations, moins de personnels… et des locaux qui seront dégagés, de ce fait, et qu’on pourrait louer – parce que la loi LRU les a offerts à chaque université (pour les louer, les vendre, ou en faire ce qu’elle désire).

Ça serait en tout cas infiniment plus intéressant et rentable que d’y « stocker », je ne sais pas moi, du grec ancien ou autres fadaises. Vous en conviendrez aisément, je pense. Il faut préciser que je travaille au sein d’une fac de lettres, qui compte beaucoup d’improductifs notoires, sans aucune utilité pour la société. La honte soit sur nous.
Les travaux ont débuté par la coupe des arbres du campus, assez nombreux, d’espèces variées. Vous comprenez, le temps des travaux, il faut de la place pour se garer. Il nous est promis qu’on en replantera un jour. Comme ça, on est heureux…

Ce que je vais vous raconter date d’il y a quelques années. La photo que je vous poste pour illustrer mon histoire a été prise, elle, il y a deux jours. Toute ressemblance entre le passé et le présent n’est pas totalement fortuite.

L’anecdote que je m’apprête à vous narrer est très représentative, à mon sens, de ce qui se passe depuis que la loi est passée et que l’autonomie se met peu à peu en place, et je pourrais vous en raconter d’autres dans le même genre.

Un jour où je faisais cours, j’entends du bruit contre la porte de ma salle. J’ouvre et tombe sur un des ouvriers peintres de la fac (personnel remplacé de plus en plus, maintenant, par des appels à des entreprises privées), peintre que je connais depuis longtemps.
Je remarque tout de suite qu’il a l’air fort déprimé, ce qui n’est pas habituel (c’est un homme enjoué d’ordinaire).
Il a un rouleau de scotch à la main et est en train de délimiter un carré.
Je l’interroge du regard.
D’une voix abattue, il m’explique qu’il a été chargé de repeindre ma porte. Il m’explique la chose.
Le président de l’époque, conscient de l’état déplorable – entre autres – des peintures, a demandé qu’on commence à repeindre le rez-de-chaussée de la fac (tout le monde y passe, dans les étages, non).
Pas les murs, c’est trop de surface. Mais les portes.
Le peintre a été chargé de calculer le nombre de pots de peinture, qui a été jugé trop important.
Du coup est sortie l’idée géniale du boss : peindre seulement un carré de chaque porte.
Le peintre m’explique qu’il a argumenté en disant que c’était moins ridicule de peintre quelques portes en entier – puis d’autres plus tard, en planifiant en fonction des arrivées de budget – mais sa solution a été repoussée, parce que non « égalitaire ».
Tout le monde logé à la même enseigne, avec son petit carré tout propre tout beau.

Ce jour-là, cet homme, confronté à une « logique » absurde et paradoxale (faire du bon travail de peintre sur une porte totalement dégueulasse, parce que c’est moins cher) m’a expliqué qu’il aimait le travail bien fait, les services rendus, la satisfaction des collègues, et qu’on se foutait de tout ça en haut lieu.
Et que ça le faisait craquer.

DSC_9558

Depuis, un autre coup de peinture un peu dégoulinant est venu recouvrir le beau carré…

Depuis – il a été poussé vers la sortie entre temps – des années après, j’ouvre tous les jours ma porte avec une petite pensée pour lui.
Pour sa peur du ridicule, pour son amour du travail.
J’ai encore des choses à vous raconter sur ce qui se passe dans ma salle et au dehors.
Même si ce n’est pas grand chose, finalement, cette histoire de porte, je le reconnais.
Je continuerai un autre jour, promis, malgré tout.
Si le bâtiment ne me tombe pas sur la tête d’ici là.
Ou si on ne m’a pas empaillée…

Le bâtiment au-dessus de ma tête... heureusement, y a un grillage anti-chute !

Le bâtiment au-dessus de ma tête… heureusement, y a un grillage anti-chute !

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Statistiques molles (15)

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Vendredi, 9 h du mat !
Je n’ai pas de frissons (faut dire, ce n’est pas 5 h et on n’est pas à Paris – et ma crève est passée).
C’est jour de contrôle avec les débutants.

Je les reçois par groupes : ils sont trop nombreux pour que l’intégralité de la promo (plus de 100) puisse rentrer dans une salle de cours.
J’ouvre la salle, et pendant qu’ils s’installent, je vais chercher du papier brouillon.
Quand je reviens, un garçon s’est mis au piano, et un autre – dreadlocks et look rasta – a sorti un saxo.
Le but, c’est sans doute que je les remarque, ce qui est plus explicite pour le saxophoniste qui exhibe son ti shirt, mis pour l’occasion (en tout cas, c’est la première fois que je le vois). Il est sapé, et me fait remarquer l’harmonie de l’ensemble.
« Et z’avez vu, m’dame, j’ai pas peur d’afficher que j’aime mes profs » !
Effectivement, je reconnais qu’il a mis tous les atouts de son côté. Je le félicite, même s’il a le sourire un peu trop large pour être totalement sincère lorsqu’il me montre son dos…
Ils regagnent lentement leur place, tous les deux, contents de l’effet produit à la fois sur les autres et sur moi.

Si eux ont l’air décontracté, parmi les autres, en revanche, je sens de la tension. Ils sont nouveaux dans la maison, c’est leur premier examen ici, et ils ne savent pas encore comment se situer.
Je donne un la au piano, qui fait pousser un léger cri à l’un d’eux, comme un râle : ça le met dans tous ses états. Les autres rient, il s’apaise.

J’ai écrit quelques consignes au tableau, pour fixer le déroulement de la séance et les règles.
Parmi celles-ci, le fait qu’ils devront émarger sur la liste d’appel avant de sortir de la salle.

Un grand black nonchalant, l’air pas très réveillé encore, me pose une question :
« Je ne comprends pas pourquoi vous avez écrit qu’il faut émerger ».
Il aurait sans doute besoin d’un bon café pour être au top pour son exam ; je me contente de lui dire qu’il a mal lu, et de lui expliquer le sens de ce mot. Même si les autres enregistrent sans réagir, il est évident au regard de certains que sa confusion était un tantinet partagée.

Un autre bute sur une formulation dans le sujet.

Pour demander le nombre d’altérations, j’ai précisé (dans une parenthèse) que j’attendais qu’ils indiquent : « tant de bémols ou tant de dièses », en face de la tonalité.
« Tant de » est visiblement inconnu au bataillon. Rien n’est jamais gagné en cette enceinte : l’expression qui me semble la plus banale recèle souvent une complexité inextricable pour certains !

Je me dis souvent que je devrais formuler chaque chose de deux ou trois manières différentes, tant (tan tan tan !!!) les jeunes sont dans une incertitude croissante vis-à-vis de la plupart des mots.

A la décharge du garçon, ce qui est connu ici, c’est le « tant » provençal, qui a un autre sens.
« Tant, demain, je vais aux champignons », par exemple, voudrait dire : « si ça se trouve, demain, j’irai… ».

Ou « tant, il te donne des figues »… pourrait se traduire par « ou bien, peut-être te donnera-t-il des figues »…
Le garçon me répète sa question, avec un fort accent, en séparant le « tant » du reste et ça donne : « tant, des bémols, ou tant, des dièses »… et comme ça n’a aucun sens, il a l’air totalement perdu.
« C’est trop la misère, m’dame »…
J’approuve en souriant. Vraiment la misère, en effet.

Surtout que ça ne résout en rien la question du choix de ces fichues altérations : on ne sait jamais lesquelles il faut employer… les dièses, les bémols, au fond, m’dame, c’est un peu pareil, non ?
Je le calme, en expliquant que j’aurais dû écrire « nombre de »… Mea maxima culpa…
Puis, tout le monde se met au travail, et moi, je me lance dans des statistiques aussi molles que l’est, paraît-il, tout ce qui est enseigné dans une fac de lettres. Nous, on n’est pas du côté des durs, et j’aime bien, à vrai dire, ce côté daliesque.

Il me semble que j’aie affaire à un échantillon de la population qui n’est pas le plus représentatif.
Résultat des courses, sur 50 étudiants

– 9 seulement sont des filles (tendance qui s’amplifie d’année en année)

– 25 garçons sont barbus (la majorité arbore un collier)

– la moitié des garçons portent des cheveux longs, dont la plupart en queue de cheval.

– 12 (filles et garçons mélangés) portent un bonnet de laine noir, qu’ils n’enlèvent jamais. Une fille se démarque avec un bonnet de Mickey (dont elle m’a dit, dans le couloir, qu’elle l’avait acquis à Dysneyland).

– 3 sont en petit ti shirt et 2 en short, alors que le thermomètre marque ses 10 degrés seulement.

– 29 étudiants sont gauchers (pas de recoupement systématique avec les barbus) : ça, je l’ai déjà remarqué, le public des zicos est préférentiellement gaucher. Je n’ai pas développé de théorie très évoluée sur la question.

– 12 ont des prénoms peu communs : dont Guihaume – écrit comme ça -, Hélisende, Marvin (avec un nom de famille hyper français), Bryan (idem), Vianney (faudrait que je vérifie si ça vient du curé d’Ars…), Evrina, Aubin, Sunny, Shine… (yeah, yeah – me prends-je à fredonner in petto – we are « on the right side of the street »!)

– ils sont nés entre 91 et 96 – sauf 2 qui sont nés en 97 et une en 98… au stade où se trouve ma carrière, je n’aurai jamais d’élèves du 21ème siècle, c’est loupé !
– ils sont une grande majorité (presque 40) à être nés aux mois de novembre, décembre et janvier (dont un le 11 novembre et un le jour de Noël). Aucun n’est né en juillet, ni en février, allez savoir pourquoi.
Concevoir au printemps serait-il une recette infaillible pour mettre au monde des artistes (enfin, des prétendants artistes)?
la sève, tout ça ? Mystère !
Ça me rappelle un questionnaire auquel j’avais été soumise, un jour, dans un parc, et où il s’agissait de dire à partir de combien d’individus dans un groupe on pouvait trouver au moins deux individus ayant la même date de naissance. Je n’avais pas su trouver (mais c’est normal, rappelez-vous, je suis définitivement sur le versant mou du monde !). On m’avait expliqué, et je n’avais rien pigé.
– je peux voir des tatouages apparents sur une bonne trentaine d’entre eux, des piercings, et pour certains, des bracelets à clous. Tendance en hausse d’année en année. J’essaye d’imaginer combien de filles timides peuvent porter des tatouages qui ne se voient pas (en haut de la culotte, sur l’omoplate…) : j’échoue.

– la plupart des garçons ont des guitares avec eux, d’autres des baguettes de batterie. Ils sont la majorité. Les filles sont plutôt pianistes ou violonistes, mais elles ne l’affichent généralement pas. Elles le font savoir, incidemment.

– presque tous ont des ti shirts (noirs) à l’effigie de groupes de rock ou de métal (de préférence), sous des sweats à capuche. Je remarque que le jogging en acrylique à deux bandes est en régression depuis quelques années, de même que le crâne rasé.

– 4 étudiants ont l’allure à fréquenter des conservatoires en dehors de ce lieu (la sélection sociale dans cette institution reste importante). C’est leur air un peu déphasé qui me conduit à cette conclusion.

Tout ça ne m’amène à rien, sinon à la fin de l’heure. Mais quand même, cette activité presque scientifique, c’est top, non ? (comme le scopone du même nom – chienn’.. chienn’… chienn’… chienn-ti-fi-co ! ce souvenir me fait marrer).

Alberto Sordi / Silvia Mangano

Alberto Sordi / Silvia Mangano

Ils sortent. Un me demande la solution d’une des questions : il saute comme un marsupilami à ma réponse.
« Ouaiiiiis, trop fort, je suis trop fort, je suis trop fort ! » et il s’en va en courant.
Le groupe 2 entre, la journée continue.
La vie aussi.

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Ce Jésus, il me cloue ! (14)

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C’est le jour des moyens. Je me suis levée avec une énergie qui me permet d’envisager de me lancer dans une tâche folle : un cours de commentaire d’écoute à partir du Crucifixus de la Messe en si du père Bach soi-même.

Non que je kiffe particulièrement celui que Cohen, dans Belle du Seigneur (pas le même, le seigneur, d’ailleurs !), appelait « le grand scieur de long » – globalement, il m’a toujours gonflée, je l’avoue sans honte, au risque de ne pas me faire que des amis -, ni que j’en pince pour la musique religieuse.

Not at all, je suis un pur produit de l’école laïque et républicaine, moi, et y avait pas de religion à la maison !

Rien de tout ça, donc : juste que, dans la progression que j’ai adoptée (oui, m’sieurs dames, faudrait pas croire que j’avance totalement au p’tit bonheur la chance, c’est du construit, tout ça, c’est du lourd, comme disent les têtes chevelues ou non qui me font face. Je pars d’un point, et je trace ma route, contre vents – y en a – et marées – plus de reflux, me semble-t-il, que de flux, mais bon, les choses, la vie, c’est comme ça, ça va ça vient), donc, dans la progression, ben, cette pièce tombe à point pour récapituler un certain nombre de notions dont je souhaiterais vivement qu’elles soient passées au stade « acquis ».

Donc, une entreprise à la fois échevelée (de la grande musique, quand même !), mais avec un risque mesuré. On reprend des éléments déjà vus, juste dans un autre contexte.

Pour que vous me suiviez, que je vous dise un peu en quoi ça consiste, ce cours. Je passe une musique – tirée de d’époques et de répertoires divers – musique dont je ne dis rien, et après quelques écoutes consistant à repérer  les intentions possibles du compositeur, et la façon dont il les rend audibles (en utilisant les éléments musicaux, le rapport texte musique et j’en passe), les moyens doivent arriver à mettre en mot ce qui est remarquable (dans le sens : « à remarquer ») et synthétiser, pour ce faire, les notations faites au cours des écoutes.

Pas fastoche, vous dites-vous !

En effet, c’est plutôt difficile, il n’y a pas de mode d’emploi tout fait. On ne rentre pas dans toutes les musiques par la même porte, toutes ne sont pas construites sur le même schéma, elles poursuivent des buts divers, et passent par des chemins souvent inattendus, ou inouïs, en l’espèce…

Bon, quand il y a un texte, ça aide quand même… on peut se demander ce qu’il raconte, c’est déjà un début ! Dans le Crucifixus en question, il y a toujours la même basse répétée sans cesse (une basse qui descend, qui nous tire vers le sol), elle tourne en boucle juste le même nombre de fois que les étapes du chemin de croix (un hasard ?) et la mélodie ressasse un motif qui ressemble comme deux gouttes d’eau à des coups de marteau suivis d’un affaissement, tout en multipliant les éléments qui donnent une sensation de marche entravée.

Plus expressif, tu meurs !

Bref, le père Bach, il a écrit là une vraie musique de film, qui se termine par la mort, la mise au tombeau et tout et tout. Y a du sang, de la douleur.Pas beaucoup de suspense, je vous le concède, on connaît la fin avant que ça ait commencé.

Mais, me dis-je, pour les jeunes d’aujourd’hui assoiffés d’images, cette musique est du pain bénit.

Allez, zou,  on démarre, dans la joie et à la bonne heure (féminin du bonheur).

Première écoute. Je vois bien que ce n’est pas l’enthousiasme de folie. Mais bon, c’est normal, aussi. Il n’est pas franchement contemporain, Johann Sebastian, et son Crucifixus, ça ne se danse pas, ce n’est pas de la lambada ! Ca me rappelle un jeune il y a quelques années, à qui on demandait dans un jury de présenter le requiem de Mozart (présentation dans laquelle il devait expliquer ce qu’il avait vu en cours auparavant). Après un moment de blanc, il s’était lancé et avait répondu : « tout ce que je peux en dire, c’est que c’est pas gai-gai ! »

Tu m’étonnes, un requiem !

Fou-rire intérieur à cette évocation. Je pense, dans une association sauvage, que même si ce n’est pagaie, ici, c’est moi qui rame. Re-rire. Enfin, l’ombre d’un rire, seulement !

L'ombre du fou-rire (Yue Minjun)

L’ombre du fou-rire
(Yue Minjun)

Je réprime et je passe à autre chose. En général, quand il y a un texte, on repère en quelle langue il est, et on attrape au vol des mots qui nous donnent une idée de la situation. C’est le premier fil sur lequel on peut tirer.

Crucifixus etiam pro nobis…

Alors, résultat des courses ?

V. se lance :

– M’dame, c’est de la musique égyptienne triste, j’ai entendu « Anubis ».

Je me dis qu’il est trop fort, ce V. Anubis, c’est quand même un dieu funéraire. Ze maître en nécropoles !

Je me fais la réflexion qu’il doit y avoir un jeu vidéo qui s’appelle comme ça pour qu’il se souvienne d’un nom qu’il n’a plus entendu depuis la 6ème. Je suis un peu moqueuse, je crois, c’est pas sympa. OK, j’arrête.

– Bien vu, y a d’l’idée, mais non…

Personne n’a reconnu le latin (que je ne nomme pas encore). Normal, si on y pense bien, c’est quand même une langue morte, alors faudrait voir à pas pousser mémé dans les orties.

Comme l’un d’entre ceux que j’ai connus ici me disait une fois : « on est quand même des contemporains ! » Ce que je ne peux nier, même si moi, je me sens de moins en moins contemporaine. C’est un autre débat, je range dans le sac à débats possibles mais mal venus.

Je remets la musique : « écoutez bien le mot qui revient régulièrement… » Ouf, ça y est, deux (sur 45, quand même) ont entendu le mot « crucifix » (sans entendre le « ous » qui suit, et qui n’est pas hyper audible, je le reconnais). Ça vous dit quelque chose, une musique qui parle de crucifix ? Bof, je sens à leurs regards un peu flous que « pas grand chose ». Puis, on s’en tape un peu, faut dire. Ça sent son truc pas drôle à plein nez !

Et le latin n’est toujours pas identifié (non plus que le caractère religieux de la musique qui va avec – je m’en assure en quelques questions). Je donne deux ou trois clés :

– la crucifixion. Je n’ai pas écrit le mot au tableau, et je vois la fille au tutu qui écrit sur son cahier, et je trouve que c’est bien qu’elle le prenne en note : la crucifiction (sans doute que Jésus aurait aimé que sa mort soit une fiction). Je ne rectifie pas, Je raconte l’histoire, qui est très vague dans la tête des jeunes, ou encore plus que ça pour certains. Ça m’étonne, j’aurais cru qu’à part moi, les gens vivaient plutôt dans une société imbibée de religion. Pas si évident que ça.

Y en a un qui commente (en voix off) que c’est assez dingue, cette histoire de clous.

– le chemin de croix… (comme le point de croix ? non, excusez, je m’égare, c’est moi qui invente la question ! je suis taille de mauvaise langue !)

– la religion et le latin

– le rapport avec la Passion – bien qu’on soit dans une messe (la Passion avec un grand P).

On est en terrain connu, là, et l’oeil des foules s’allume – c’est la classe des « feux de l’amour », la Passion avec petit ou grand P, ils connaissent !

A ce propos, Pauline the Best n’a pas de flingue visible aujourd’hui – la dernière tentative n’avait pas été très concluante -, mais un très beau bonnet, dont elle a l’air très fière, avec un énorme pompon tout doux, qu’elle a posé sans ambages sur le couvercle de mon piano au début du cours (elle s’assied toujours à une table qui touche l’arrière du piano). Sans commentaire, j’ai remis le bonnet sur son cahier, et elle a pris un petit air vexé, mais sans rien dire.

Encore un échec !

"Ma chère folie et mon amour, ma planète, mon bonheur" (un poète, s'exprimant au blanco sur une table de ma salle)

« Ma chère folie et mon amour, ma planète, mon bonheur »
(un poète du blanco sur une table de ma salle)

Pendant ce temps-là, les affairent continues.

Pourquoi t’as mis « ent » à affaire et « s » à continue, ma cocotte ? ben, passe que c’est des pluriels ! (en fait, non, je pense à mon histoire et ça m’a échappé – à force de lire ça dans des copies, aussi, ça finit par déteindre…)

Donc, les affaires continuent. On avance cependant pas à pas… c’est comment, déjà ce proverbe chinois, avec une histoire de pas ? Genre, même un chemin de mille pas commence par un petit pas ?

Nous, on en a fait un petit, allez, c’est parti pour le suivant ! Nouvelle écoute pour entendre comment la musique illustre ce drame.

Ah, une fille timide au deuxième rang droite, a profité de l’écoute non pas en fonction des consignes que j’ai données, mais pour tenter de mieux saisir les paroles. Elle est interrogative :

– à un moment, les chanteurs disent « I kiss you », c’est pour ça que c’est la Passion ?

P’taing, c’est pas gagné ! Je précise doucement qu’au milieu du latin, il n’y a pas d’anglais (surtout à l’époque).

V. vole au secours de la fille rêveuse.

– Faut dire que votre latin, m’dame, il est quand même drôlement embrouillatoire !

Je reconnais et ris – « ah ! embrouillatoire… », en échangeant avec lui un regard qui souligne le rire et crée une petite complicité passagère…

Il s’est rendu compte qu’embrouillatoire n’est peut-être pas totalement le mot quand on veut désigner une embrouillure. Ou alors, il en est très content, je ne sais, parce qu’il a employé un mot compliqué qui sent son expert.

Il rit aussi et rajoute (je préfère penser que c’est avec humour plutôt qu’avec fierté ) :

– Eh, j’ai quand même passé un bac français !

Je pense que c’est heureux. Mais ça me cloue quand même.

Finalement, le Crucifixus, c’était pas une si bonne idée que ça !

©Bleufushia


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On the road again, again… (13)

Ti shirt vu dans un de mes cours

Ti shirt vu dans un de mes cours

Pour me rendre dans le lieu où je gagne ma croûte, j’ai la chance de ne pas être obligée d’enfourcher un quelconque destrier.
Non, je peux cheminer à mon rythme, au moyen de mes grands pieds, ce qui me donne l’occasion d’aborder mon lieu de travail en suivant, doublant, ou traversant des groupements variés de têtes blondes, brunes, ou autres qui se rendent dans le même lieu que moi.
Ce faisant, mes oreilles traînent (c’est mon boulot, l’oreille, et la mienne n’arrête jamais, elle engrange des sons, des mots, des bruits, des musiques, elle est à l’affût, toujours sur le pont).
Je récolte, et je mets dans mon sac à sons.

Cette semaine, j’ai glané des choses diverses.
Une fille au regard illuminé psalmodie avec des gestes un peu autistes devant le centre oecuménique.

– Sauvée, sauvée, je suis sauvée…
Les gens passent devant elle dans la plus grande indifférence. Moi aussi, en me faisant la réflexion qu’il n’est pas certain qu’elle le soit réellement !

Plus loin, je double deux filles : vêtements de marque (ou contrefaçon), sacs à incrustation de faux diamants (toutes les deux) faisant apparemment office de cartable, maquillage qui a du leur prendre un sacré moment…
– moi, quand j’écoute un cours, ça me fait carrément flipper !

– mais, n’importe quel cours ?

– ouais, je flippe grave.

Ce ne sont pas des étudiantes de ma section, mais ça me permet de comprendre la galère des miens – particulièrement dans mes cours…
Si en plus, il faut les écouter ! c’est de l’abus. C’est clair…
Je m’instruis drôlement en faisant la route ! C’est donc sans doute pour cela qu’ils écoutent si peu. Je m’en voudrais de les faire flipper, du coup, je pense que je ne les rappellerai plus à l’ordre désormais.

Pour les débutants, les premiers examens ont commencé… ça occupe les conversations.
Un garçon à la mèche savamment décoiffée, peut-être un tout petit peu vantard, à la cantonade :

– Cet exam, c’était tellement facile que j’aurais pu l’écrire de la main gauche !
(Attends les notes, peut-être ?)

Mais la palme revient à un cousin du Grand Duduche :
– Je suis TROP dégoûté : j’ai tellement passé de temps à faire des pompes que je sais mon cours par coeur.

méthode anti triche en Chine

méthode anti triche en Chine

Alors, là, je compatis… quelle injustice, quand même !
Mais dommage qu’ils ne pompent pas tous, finalement. C’est une méthode comme une autre pour apprendre.
En fait, je ne me fais pas beaucoup d’illusions (je suis maligne, je ne donne pas d’examens où l’on puisse pomper !), et la plupart sont infiniment plus modernes que lui : les androïds remplacent maintenant la technique « papier ». Il n’est plus totalement à la page, le pauvre.

Je fais encore quelques pas, en pensant à la modernité, pas qui m’amènent devant mon graffiti favori, à une encablure de ma salle de cours. Quand je passe devant, c’est que je suis arrivée à destination !

 ©Bleufushia

©Bleufushia

Cette inscription me plonge immanquablement dans des réflexions hautement philosophiques, et qui me réjouissent (et ça va mieux, même sans crevette) !

Et je suis reconnaissante envers cet anonyme qui se préoccupe de mon bien-être en me proposant un remède à l’amertume de la vie.
Tiens, ça me réconcilierait avec l’humanité si j’étais fâchée avec elle.
J’aimerais quand même bien lui demander si crue ou cuite, ça marche pareil !

©Bleufushia