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La vie des bêtes (6)

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sur une table du dernier rang - "ouai", ça ne se met pas au pluriel ?   ©Bleufushia

sur une table du dernier rang – « ouai », ça ne se met pas au pluriel ?
©Bleufushia

Je rencontre Julien dans la rue : ça fait longtemps, six ans déjà.

– Vous me reconnaissez ? Julien, la basse !

– Bien sûr ! Qu’est-ce que tu deviens ?
– Après mon master, je n’ai pas trouvé de boulot, personne ne voulait m’embaucher avec un niveau bac + 5, ça coûte trop cher, qu’ils disent. Intermittent, c’est difficile, j’étais musicien de bal, mais les DJ coûtent tellement moins cher qu’un petit ensemble en live… Quand on trouve une date avec les potes, vous savez, Romain et Pat, on nous embauche généralement au black, ou alors, il faut qu’on paye nous-mêmes nos charges. On continue à jouer, mais juste pour le plaisir de se retrouver de temps à autre. On a l’impression d’être encore jeunes.
– Et à part jouer ?
– Ben après deux ans de galère, j’ai fini par trouver un CDD dans un rayon poissons au supermarché. Ça va, c’est mieux que la viande. Pour le moment, on me l’a déjà renouvelé deux fois. J’ai plus de bol que Romain, qui avait trouvé une place par une boîte d’intérim comme factotum dans une petite entreprise. Le patron était content de lui, il a proposé de lui faire un contrat, à la condition qu’il lui signe un papier pour certifier qu’il n’avait pas d’autres diplômes que le bac. Vous connaissez Romain, il a refusé… depuis, il bricole.
Pat s’est mis en ménage avec une infirmière, et il est au chômage. Il compose et attend la célébrité : vous vous rappelez comme il était rêveur.

Il se met à rire :

– vous vous rappelez, on était la promo « écureuil ».

La promo « écureuil » : bien sûr que je m’en souviens !
Ils étaient en troisième année. Je leur avais donné un travail de groupe, en inscrivant trois questions au tableau, sur lesquelles ils devaient discuter.

Une de ces questions était : « quels écueils pouvez-vous rencontrer au cours d’une observation de situation scolaire ? »
Ils s’étaient mis au travail, certains se levaient, allaient d’un groupe à l’autre.
Au bout d’un moment, Gaëlle avait pris la parole.

– M’dame, on sait que vous aimez bien blaguer, mais personne d’entre nous ne voit le rapport possible entre des écureuils et l’observation.

Je leur avais demandé de lire mieux, il avaient alors déchiffré « écueil », mot qu’aucun dans la classe ne connaissait.
J’avais alors répondu en leur donnant la définition « d’écureuil », synonyme d’obstacle… avec des exemples.
Le mot était devenu une private joke de la promo, et ils le mettaient à toutes les sauces. Au bout d’un moment, ils incluaient dans des phrases « problématiques » n’importe quel animal en lieu et place d’écureuil.
Julien conclut notre évocation commune de tous les rires associés à cette histoire :
– Vous n’y êtes pour rien, mais ça nous a suivis, moi, je suis dans le poisson, et les autres vivent comme des bêtes : on ne pense qu’à pouvoir manger.
©Bleufushia

7 réflexions sur “La vie des bêtes (6)

  1. L’histoire de l’écureuil est étonnante : comment peuvent-ils ne pas connaître le mot écueil ? Ne serait-ce qu’au sens propre ? on ne leur a jamais lu de récits de bateaux qui s’échouent ?
    Quant à ce que ta chronique laisse à voir des suites des études, ça ressemble beaucoup à du réel 😦

  2. Assez mélancolique. L’avenir professionnel des jeunes (et leur accession à une retraite un jour) semble bien hypothétique.

  3. J’ai lu les six chroniques que tu as postées : j’adore le ton, l’écriture, le regard bienveillant que tu portes sur eux et les interrogations que ça suscite en toi. C’est très réussi. On en redemande.

  4. Non, non, ne rougis pas, reste bleue comme la fleur, avec un peu de vert pour l’espoir.

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