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Le noyau du désir

5 Commentaires

Petites fleurs de mon jardin

Elle s’absorbait dans la contemplation de la nèfle qu’elle venait de saisir. Toute son enfance dans un fruit ! Le bonheur intense de chiper des nèfles, au passage, aux branches basses qui débordaient de la clôture du voisin. De les croquer précautionneusement.
Ça avait été un long délice, au goût d’interdit. Fruit insignifiant pour d’autres, pas pour elle.

Ça vaut des nèfles était une expression qui la plongeait dans l’incompréhension. Presque la révolte.
Le fruit la fascinait et elle se demandait aujourd’hui pourquoi.
L’extérieur, l’apparence étaient banals, la couleur indéfinie, la peau tavelée, somme toute moyennement engageante. Dès qu’on y mordait, on tombait sur des noyaux que, dans un rare accord avec elle-même, elle trouvait formidables.
Il y en avait deux ou trois, parfois quatre, biscornus, mais avec des angles arrondis, brillants, lisses au-delà du lisse. De vrais bijoux.

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Elle repensa tout à coup à cette description saugrenue qu’elle avait lue autrefois : un explorateur portugais, débarquant au 16ème siècle au Brésil essayait de consigner pour ses compatriotes qui n’en avaient jamais vu ce qu’était une banane.
La description était drôle, parce qu’il ne décrivait le fruit qu’en négatif, par rapport à la figue qu’il n’était justement pas.
Drôle aussi de penser que l’expression brésilienne « a preço de banana » (au prix de la banane, pour désigner des articles en promotion importante) signifie, finalement, qu’il s’agit d’un produit qu’on peut se procurer pour des nèfles !

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Elle se demandait comment raconter la nèfle.

Difficile de décrire les noyaux, qui étaient pourtant le cœur de la nèfle, c’est-à-dire à la fois son centre et son intérêt, puisque par définition, ils étaient invisibles, cachés… et au bout du compte, sans intérêt. Ce n’est pas eux qu’on consommait.
Finalement, le cœur de la nèfle, on pouvait dire que ça comptait pour des nèfles. On s’en contrefoutait. Elle n’en aurait pas eu que ça aurait été pareil. En tout cas, ça ne servait ni à la connaître, ni à la reconnaître. Cette pensée, infime pourtant, lui serra tout à coup la gorge.
Elle-même, au-delà de ses propres apparences – banales, elle se devait de le reconnaître, à l’image de la nèfle qu’elle tenait dans sa main – comment pouvait-elle dire cette sensation d’être, parfois,  dénoyautée ?

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(du blog tortore.wordpress.com)

©Bleufushia

5 réflexions sur “Le noyau du désir

  1. un bout d’enfance pour une réflexion sur soi… j’aime !

  2. J’aime cette description, et j’adore l’histoire de la banane !

  3. Un petit air de Ponge dans cette nèfle-là. Se dire au travers d’un objet, ou d’un fruit, c’est une piste super d’approche de soi.
    Ça me parle bien.

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